Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patrie ni d’autels, ni d’offrandes. J’y consacrerai ton image épanchant ses ondes, aussi vénérable, aussi grande que celle de l’Énipée, (5, 210) ou que l’Inachus couché dans sa grotte d’or. »

Il dit, et le vaisseau, par un heureux présage, vire de bord, la proue tournée du côté de l’embouchure du fleuve. « Oui, s’écrie Jason, tu nous le promets ; tu nous y invites même ; nous retournerons dans notre patrie. » Et il ordonne à ses compagnons de prendre leurs armes. On tire du vaisseau la liqueur de Bacchus qui fortifie les cœurs contre l’adversité, les présents de Cérès, et l’on s’assied sur la pelouse le long du rivage.

Maintenant, ô Muse, fais entendre de nouveaux accents ; sois l’écho des exploits de Jason comme tu en fus le témoin : car ici mon génie (5, 220) et ma voix sont insuffisants. Dis-nous donc les amours furieuses, l’infâme trahison d’une jeune fille, le vaisseau que fit trembler sa criminelle présence, les monstres sortis tout à coup du sein de la terre, et leurs combats impies. Mais d’abord racontons la perfidie de l’astucieux fils du Soleil, si digne d’être trompé, si digne d’être abandonné, et reprenons les faits de plus haut.

Devenu vieux, Phrixus avait fini sa pénible carrière dans la ville du Soleil, en Scythie. Comme on lui rendait les derniers devoirs, une flamme brilla tout à coup dans le ciel, et le Bélier apparut sous la forme de cette constellation qui soulève les flots. Sa toison, de l’or le plus pur, (5, 230) insigne monument de la valeur de Phrixus, avait été suspendue par lui à un chêne du bois sacré de Mars. Une nuit, l’ombre gigantesque du héros vint épouvanter son beau-père Éétès par ces révélations distinctement formulées : « Toi qui voulus que je fixasse dans ton empire ma course errante et fugitive, qui m’offris ta fille et me recherchas pour gendre, plus de bonheur pour toi, plus de puissance, si, par quelque artifice, la toison d’or est enlevée de son arbre sacré. (5, 239) Si de plus un amant, quel qu’il soit, te demande la main de Médée, aujourd’hui prêtresse d’Hécate et conduisant ses chastes chœurs, accorde-la, et que l’hymen éloigne promptement la jeune fille du royaume paternel. »

Il dit, et semble en même temps présenter à Éétès la fatale Toison. Les lambris du palais resplendissent de la brillante et trompeuse clarté.

La frayeur arrache de son lit le fils du Soleil ; il s’adresse à son père, dont le char montait déjà sur l’horizon, et s’écrie : « Protecteur de mes destinées, ô mon père, toi dont les regards embrassent le monde, tourne-les maintenant vers la terre et la mer ; et si quelqu’un des miens, si une main étrangère trame contre moi d’obscurs complots, (5, 250) hâte-toi de m’en instruire. Toi aussi, gardien de ce dépôt sacré qui rayonne du haut d’un chêne, Mars, sois vigilant ; que la forêt ne cesse de retentir du bruit de tes armes et des trompettes, et que, la nuit, ta voix en remplisse les espaces. » Il achevait à peine, qu’un dragon envoyé par Mars descend des rochers du Caucase, enlace de ses replis la forêt tout entière et fixe