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profites-en. Mais je ne puis t’en dire davantage ; je me tais, et fais des vœux pour toi. » Le discours de Phinée, l’obscurité de ses prédictions alarment les Argonautes.

Jason, précipitant des délais qui alimentaient la crainte, donne aussitôt le signal du départ. Phinée les accompagne jusqu’au bord de la mer, et s’écrie : « Par quelle reconnaissance, (4, 630) nobles fils de Borée, puis-je acquitter votre bienfait ? Oui, je me crois encore au sommet du Pangée, ou dans la ville de Tyr, au sein de ma patrie ; oui, c’est bien le jour que je revois encore. Grâce à vous, les Harpyes sont en fuite ; je ne les craindrai plus, et mes repas ne me seront plus disputés. Approchez-vous donc ; souffrez que je touche vos visages et que je vous serre dans mes bras. » Il dit ; les Argonautes quittent le rivage, et bientôt ils l’ont perdu de vue.

Plus ils avancent, plus les écueils Cyanéens se peignent terribles à leur imagination. Quand, où les apercevront-ils ? L’effroi les tient immobiles ; leurs yeux seuls tournent (4, 640) sans cesse çà et là, sans se reposer jamais. Tout à coup un bruit lointain se fait entendre : c’est celui des rochers qui se déchaînent, et qui leur semblent moins des rochers que des fragments du ciel précipités dans les flots. Ils courent, et soudain la mer s’entr’ouvre devant eux, et les rochers s’écartent. À ce spectacle, la terreur les paralyse, les rames leur tombent des mains. Jason, allant de l’un à l’autre, lève des mains suppliantes, les exhorte, les presse ; et appelant chacun par son nom : « Où sont, dit-il, ces superbes promesses, (4, 650) ces grandes menaces qui m’assaillirent au départ ? Vous tremblâtes ainsi quand vous vîtes l’antre d’Amycus ; cependant nous persistâmes et un dieu vint à notre aide : ce dieu, croyez-moi, ne nous faillira pas non plus aujourd’hui. » En disant ces mots, il prend la rame de Phalère, le repousse, se met à sa place, et manœuvre avec vigueur. Rouges de honte, ses compagnons l’imitent. Le courant vient à eux, et fait tournoyer le vaisseau ; les rochers se heurtent, s’éloignent, puis se heurtent encore : deux fois retentit le fracas de ces masses ennemies ; (4, 660) deux fois la flamme a brillé au sein des eaux jaillissantes. Comme la foudre qui, s’échappant en flèches de feu du flanc des sombres nuages, tombe, mêlée aux éclats du tonnerre, traverse la nuit, illumine les ténèbres, éblouit les yeux et épouvante les oreilles ; ainsi gronde la mer en ces chocs effroyables, tandis que les flots lancés au loin inondent d’une pluie immense le vaisseau tout entier.

Les dieux sont accourus ; les regards fixés sur la mer, ils observent comment le navire, comment les rudes guerriers qui le montent forceront le passage. La hardiesse de l’entreprise excite leur faveur et les tient en suspens. (4, 670) Mais le signal est donné ; la vierge à l’étincelante égide lance un foudre qui passe entre les rochers, et fuit en traçant derrière soi un sentier lumineux. À cet indice, les forces des Argonautes, leur cou-