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roux des dieux. » Calaïs et Zétès hésitent à ce discours ; leur vol s’alanguit ; soudain ils font volte-face, et reviennent triomphants vers leurs compagnons.

Les Harpyes chassées, les Argonautes commencent par sacrifier à Jupiter ; (4, 530) puis, on rapporte le vin et les viandes. Au milieu d’eux, Phinée plein de joie, et comme sous le charme d’un songe délicieux, savoure avec douceur les dons de Cérès si longtemps oubliés, reconnaît la liqueur de Bacchus, l’eau limpide, et s’étonne des jouissances toutes nouvelles d’un repas que rien ne trouble plus. Il était là mollement étendu, heureux et déjà bien loin du souvenir de ses longs malheurs, quand Jason le regarde, l’interpelle, et lui adresse cette prière : « Ô vieillard, vos vœux sont accomplis : à votre tour, calmez nos inquiétudes et considérez un moment notre entreprise. (4, 540) Jusqu’ici tout nous a réussi, et les dieux (s’il est permis de croire à leur sollicitude) n’ont pas vainement encouragé nos efforts. La fille de Jupiter a construit elle-même ce vaisseau ; sa sœur m’a donné des rois pour compagnons : mais je ne puis céder à une aveugle confiance, et plus je vois approcher le Phase, ce terme de nos fatigues, plus je sens s’augmenter en moi un trouble plus fort que toutes les assurances de Mopsus et d’Idmon. »

Phinée ne se laisse pas prier davantage ; il prend ses bandelettes et sa couronne, et invoque le dieu qui l’inspira si souvent. Bientôt, au grand étonnement de l’illustre fils d’Éson, (4, 550) Phinée, comme si la colère céleste ne se fût jamais appesantie sur sa tête, paraît, le front radieux, le visage respirant toute la majesté de la vieillesse, et le corps animé d’une vigueur nouvelle. « Ô toi, s’écrie-t-il, dont le nom remplira le monde, toi que guident et accompagnent les dieux, que Pallas instruisit elle-même et que Pélias élevé aussi jusqu’au ciel, sans s’inquiéter beaucoup de la dépouille de Phrixus, je vais (c’est ainsi que je puis te marquer ma reconnaissance) te dévoiler tes destins, les lieux où tu vas, les chemins qui y conduisent, et la fin de ton entreprise. Le dieu qui me défend de révéler l’avenir au reste des mortels, (4, 560) lui-même en ce moment veut bien que je parle pour toi. Au sortir d’ici, on trouve l’embouchure du Pont, puis les flottantes Cyanées qui s’entre-choquent au milieu des eaux, qui ne savent pas encore ce que c’est qu’un navire, qui froissent les unes contre les autres leurs masses énormes, émoussent leurs flancs anguleux, ébranlent, quand elles s’agitent, le monde jusqu’en ses fondements, font trembler la terre, chanceler les cités, et ne se séparent que pour se heurter de nouveau. Quand tu en approcheras, les dieux sans doute seront tes conseils et tes guides : quant à moi, quels avis, quels secours te donner ? Tu vas entrer dans une mer (4, 570) que fuient les Vents, que fuient les oiseaux, et d’où Neptune lui-même détourne ses coursiers tremblants. Si ces rochers laissent entre eux le moindre intervalle, s’ils se reposent un moment, hâte-toi de passer. À peine ont-ils touché aux rivages voisins, qu’ils se précipitent de nouveau, pour