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mes distinctes, on devrait aussi voir sur la plaine des mers, ou sur tout autre corps de couleur uniforme, mille couleurs différentes, mille nuances variées.

D’ailleurs, les figures irrégulières ne nuisent pas au tout, et permettent que la surface soit carrée ; mais la différence des couleurs empêche la masse de conserver un éclat uniforme.

(2, 788) Maintenant donc, puisque ce ne sont pas des atomes noirs et blancs qui forment le blanc et le noir, mais des atomes de forme diverse, la seule cause qui nous engage souvent à leur attribuer des couleurs est détruite. Car la blancheur naîtra plus aisément de germes incolores que du noir, ou de toute couleur opposée que sa nature repousse.

De plus, comme les couleurs ont besoin de lumière pour exister, et que les éléments échappent à la lumière, tu dois en conclure que les éléments ne sont pas enveloppés de couleur. En effet, les couleurs pourraient-elles subsister dans les ténèbres, elles qui changent à la lumière même, suivant que (2, 800) des rayons obliques ou droits les frappent et les éclairent ? Vois étinceler au soleil le collier de plumes qui entoure le cou et la gorge des colombes : quelquefois il reflète la pourpre des rubis, et quelquefois un jour différent y sème de vertes émeraudes sur un fond azuré. De même, lorsque la queue du paon est inondée de lumière, les reflets varient, suivant que les plumes sont exposées : or, si le choc de la lumière forme les nuances, il est impossible de croire que les nuances existent sans elle.

(2, 810) Et, puis, les yeux reçoivent tel choc [810] quand on les dit frappés de la couleur blanche, tel autre sous les atteintes du noir, et ainsi du reste. Or, ce qui importe dans les matières touchées, ce n’est pas le hasard des nuances, mais l’harmonie des formes : il est donc évident que les couleurs ne sont pas nécessaires aux atomes ; car leurs formes variées varient les impressions de la vue que leur contact excite.

En outre, si la nature des couleurs ne tient pas à la forme des atomes, et que des atomes de toute forme puissent avoir un éclat quelconque, (2, 820) pourquoi les corps formés par eux ne sont-ils pas de même ? pourquoi toutes les nuances ne sont-elles pas répandues dans toutes les espèces ? Il faudrait alors que les corbeaux, au milieu de leur vol, jetassent une blanche lumière de leurs ailes blanchissantes ; que le plumage des cygnes fût assombri par de noirs atomes, ou revêtu de toutes les autres couleurs, soit simples, soit mélangées.

Bien plus, à mesure que les corps sont partagés et diminuent, il est facile de voir la couleur insensiblement effacée pâlir et s’éteindre. L’or, quand on le met en poudre ; (2, 830) les étoffes étincelantes de pourpre, quand on les arrache fil à fil, perdent tout leur éclat : ainsi donc les couleurs