Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du rivage de Sicile, Polyphème la rappelle en vain. Vis-à-vis sont les feux, les lits de verdure, les mets, les vins ; Pélée avec son épouse au milieu des dieux de la mer, (1, 140) et Chiron qui joue de la lyre après le festin. Ailleurs est le mont Pholoé, Rhétus ivre-fou, et le combat dont la vierge thessalienne fut la cause subite. Partout volent les coupes, les tables, les autels des dieux, et les vases, chefs-d’œuvre de l’antiquité. On reconnaît là l’adroit Pélée et le fougueux Éson, brandissant l’un sa lance, l’autre son épée. Nestor est monté sur le dos de Monychus, qui se débat vainement contre son cavalier ; Clanis lance à Actor un tison enflammé ; le noir Nessus s’enfuit, et, couché sur les tapis, Hippasus cache sa tête dans un vaisseau d’or vide.

Jason admire ces prodiges de l’art, et pourtant (1, 150) il se dit : « Malheureux nos pères et nos enfants ! Irai-je donc, trop prompt à obéir, lutter avec cet esquif contre les tempêtes ? et, seul, Éson redoutera-t-il pour son fils les fureurs de la mer ? N’entraînerai-je pas aussi dans ces hasards, dans ces périls, le jeune Acaste ? Que Pélias fasse donc des vœux pour ce navire, invention de sa haine, et qu’il se joigne à nos mères pour conjurer les flots. »

Au milieu de ces incertitudes, l’oiseau de Jupiter fond à sa gauche du haut des airs, et saisit un agneau dans ses serres vigoureuses. Les bergers le poursuivent de loin de leurs clameurs effrayées, les chiens de leurs aboiements. Mais déjà le ravisseur a repris son vol, (1, 160) il plane au-dessus de la mer Égée. Jason accepte l’augure, et, plein de joie, il marche vers le palais de l’orgueilleux Pélias. Le premier, le fils du roi court au-devant de lui, l’embrasse, et le presse fraternellement sur son cœur. « Ô Acaste, » dit Jason, « ne crois pas que je vienne ici protester par des plaintes indignes de mon sang ! je veux seulement t’associer à mon entreprise : Télamon, Canthus, Idas et les fils de Tyndare ne sont pas plus que toi dignes de la Toison d’Hellé. Que de terres, que de climats nous allons découvrir ! que de routes inconnues nous allons ouvrir au commerce des mers ! (1, 170) Peut-être en ce moment ne considères-tu que le péril ; mais quand ma voile un jour reviendra triomphante, quand je reverrai ma chère Iolcos, quelle honte alors pour toi d’entendre le récit de nos travaux ! que de regrets de n’avoir pas vu ces nations que je te nommerai ! »

Acaste l’arrête à ces mots. « C’en est assez, dit-il, je suis prêt à te suivre partout où tu m’appelles. Ne crois pas, ami, que l’oisiveté m’enchaîne, que le sceptre paternel m’inspire plus de confiance que toi. Laisse-moi seulement cueillir, sous tes auspices, mes premiers lauriers, et croître ma renommée à l’ombre de celle d’un frère. Bien plus, de peur que la tendresse paternelle, trop vivement alarmée, ne me retienne, (1, 180) je tromperai sa vigilance, je serai là quand le vaisseau et vous serez prêts à partir. » Il dit : Jason accueille avec bonheur ces promesses, ces élans d’une âme courageuse, et d’un pas impatient il retourne au rivage.

Dociles à la voix, aux ordres de leur chef, les Argonautes élèvent le vaisseau sur leurs épaules ;