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mais l’ardent limier d’Ombrie s’attache à elle, la gueule béante ; il est près de la saisir, et, comme s’il la tenait déjà, il fait crier ses mâchoires ; mais le cerf lui échappe, et il ne mord que l’air. Alors un grand cri part des deux armées ; les rivages et les lacs d’alentour y répondent ; les cieux en tumulte tonnent au loin. Turnus, tout en fuyant, gourmande les Rutules, appelle les siens par leur nom, crie qu’on lui rende sa bonne épée. (12, 760) Mais Énée menace de tuer quiconque ira secourir Turnus ; il dit qu’il exterminera la ville ; tous tremblent à sa voix ; et, tout blessé qu’il est, il poursuit son ennemi. Cinq fois ils parcourent tous deux l’enceinte du champ de bataille, cinq fois ils viennent et reviennent sur leurs traces : c’est qu’il n’y va pas d’un prix médiocre ou d’un vain simulacre de combat, mais de la vie et du sang de Turnus.

Il y avait par hasard au milieu du champ un olivier aux feuilles amères, consacré au dieu Faune ; arbre de tout temps révéré des nautoniers, qui sauvés des ondes avaient coutume d’attacher leurs offrandes à ses rameaux, et d’y suspendre leurs vêtements, voués au dieu protecteur de Laurente. (12, 770) Mais les Troyens, sans respect pour l’arbre sacré, l’avaient abattu pour dégager le champ du combat. Là s’était arrêté le javelot d’Énée ; poussé d’un effort impétueux, il s’était enfoncé dans les racines tortueuses du vieux tronc : le héros troyen se courba pour l’en arracher ; il voulait de ce fer atteindre l’ennemi qu’il ne pouvait saisir à la course. Alors Turnus glacé d’effroi : « Dieu Faune, je t’en supplie, par pitié pour moi, et toi, Terre bienfaisante, retenez ce fer, si j’ai toujours gardé votre saint culte, que les Troyens ont profané par cette guerre. » (12, 780) Il dit, et n’invoqua pas en vain le secours du dieu. Longtemps Enée lutte de toutes ses forces contre la dure racine qui l’arrête : il ne peut vaincre sa morsure obstinée. Tandis qu’il s’acharne et qu’il s’épuise en vains efforts, voici qu’empruntant de nouveau les traits de Métisque, Juturne s’élance, et va rendre à son frère l’épée de Daunus. Mais Vénus, indignée de l’audace de la nymphe, s’avance, et arrache elle-même le javelot des profondes racines de l’arbre sacré. Alors les deux rivaux, ressaisissant avec leurs armes leur fierté première et leur courage, l’un, sa fidèle épée à la main, l’autre, la lance haute et menaçante, (12, 790) recommencent de pied ferme ce combat haletant.

Cependant Junon, du sein d’un nuage d’or, regardait ces deux rivaux. Jupiter s’adressant à elle, lui parle ainsi : « Quelle sera, chère épouse, la fin de cette guerre ? que vous restet-il à entreprendre ? Vous savez, et vous-même avouez le savoir, qu’Enée a sa place réservée parmi les héros habitants de l’Olympe, et que les destins l’élèvent jusqu’aux demeures étoilées. Que préparezvous encore ? et quel vain espoir vous arrête dans ces froides nuées ? Convient-il qu’un dieu soit blessé de la main d’un mortel ? Fallait-il (car sans vous que pouvait Juturne ?) rendre à Turnus son épée et accroître la force des vaincus ? (12, 800) Cessez donc enfin de vous agiter, et laissez-vous fléchir