Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/445

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déchire ses joues de roses ; toute la troupe des femmes qui l’entourent s’abandonne à la fureur ; le palais retentit au loin de lugubres cris. Le triste bruit s’en répand dans toute la ville ; (12, 609) les esprits sont abattus ; Latinus, accablé du destin de son épouse et de la ruine de sa capitale, s’avance, déchirant ses vêtements et souillant ses cheveux blancs d’une horrible poussière. Mille fois il se reproche de n’avoir pas reçu le Troyen Énée qui venait à lui, et de ne lui avoir pas donné la main de sa fille.

Cependant Turnus combat encore à l’extrémité de la plaine ; il poursuit quelques ennemis épars, déjà moins ardent, déjà moins heureux de la vitesse de ses coursiers, qui va se ralentissant. Alors l’haleine des vents porte jusqu’à lui des cris tumultueux, sombres échos d’une aveugle terreur ; et son oreille attentive est frappée de sons confus s’élevant de la ville, et de lamentables murmures : (12, 620) « Hélas ! s’écrie-t-il, quel nouveau désastre trouble encore les murs de Laurente ? pourquoi ces horribles clameurs qui s’élancent de tous ses remparts ? » Il dit, et, ramenant à lui les rênes de ses coursiers, il s’arrête éperdu. Alors Juturne, qui sous les traits de Métiscus guidait le char, les coursiers et les rênes, se tourne vers lui et lui dit : « Turnus, poursuivons les Troyens par le chemin que nous ouvre la victoire ; assez d’autres défendent nos toits menacés ; Énée fond sur les Italiens, et leur livre bataille : et nous aussi portons le ravage et la mort dans les rangs troyens ; (12, 630) tu ne te retireras du champ de bataille ni plus affaibli qu’Énée, ni moins glorieux. » Turnus lui répond : « Ô ma sœur, je vous ai reconnue dès que vous avez rompu le traité par votre artifice, et que vous vous êtes jetée au milieu de nos combats. Déesse sous ces traits mortels, vous voulez en vain tromper mes yeux. Mais qui vous a ordonné de descendre de l’Olympe, et de supporter avec nous de si grands travaux ? Est-ce pour voir mourir d’une mort cruelle un frère infortuné ? Car que puis-je faire ? quelle fortune inespérée peut me sauver ? J’ai vu tomber sous mes yeux le grand Murranus, le plus cher des amis qui me restent ; il m’appelait à son secours ; (12, 640) je l’ai vu périr abattu par un grand coup. Le malheureux Ufens a cherché la mort pour ne pas voir mon déshonneur ; son corps et ses armes sont aux mains des Troyens. Souffrirai-je (il ne me manque plus que cette infamie) que nos maisons soient détruites ; et ce bras ne donnera-t-il pas un démenti à Drancès ? Je montrerai le dos à l’ennemi, et cette terre verra fuir Turnus ? Mais est-ce donc un si grand mal que mourir ? Mânes, soyez-moi propices, puisque les dieux du ciel se sont détournés de moi. Mon âme descendra dans votre empire sainte et innocente de ce crime, et n’aura jamais été indigne de ses grands ancêtres. » (12, 650) Il parlait encore, quand il vit Sacès voler à travers les ennemis sur son coursier écumant ; Sacès est blessé d’une flèche au visage, et il se précipite en appelant et implorant Turnus. « Turnus, s’écrie-t-il, vous êtes notre dernier espoir ; ayez pitié des vôtres. Énée fou-