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Tel le chef des Troyens pousse ses bataillons contre l’ennemi : sa troupe se serre, forme ses colonnes, se ramasse. Thymbrée frappe du glaive le brave Osiris ; Mnesthée abat Archétius ; Achate tue Épulon ; (12, 460) Gyas terrasse Ufens. Il tombe aussi l’augur Tolumnius, lui qui le premier avait lancé un trait impie contre les Troyens. Un grand cri s’élève au ciel ; et les Rutules, à leur tour culbutés, montrent en fuyant leurs dos poudreux. Énée ne daigne ni abattre ceux qui fuient devant lui, ni poursuivre ceux qui l’attendent de pied ferme ou qui lui lancent des dards. À travers ces ténèbres de poussière ses yeux ne cherchent que le seul Turnus ; c’est le seul Turnus qu’il voudrait combattre.

Dans la frayeur qui la bouleverse, la vierge Juturne précipite au milieu des harnais Métisque, le conducteur du char de Turnus, (12, 470) et le laisse au loin étendu sous le joug ; elle-même prend sa place, et manie les rênes ondoyantes : elle a tout de Métisque, la voix, la figure, les armes.

Telle la noire hirondelle vole le long des vastes édifices d’un maître opulent, et parcourt de l’aile les hautes galeries, cherchant une petite pâture, et de quoi calmer la faim de son nid babillard ; elle rase en sifflant tantôt les portiques solitaires, tantôt les humides bords des étangs : telle Juturne est emportée par ses coursiers au milieu des ennemis, et lance partout son char rapide ; elle ne fait que montrer çà et là son frère triomphant, (12, 480) l’empêche de combattre, et de détour en détour s’enfuit avec lui. Cependant Énée, s’offrant partout à son rival, suit sa trace tortueuse, le cherche des yeux, et à travers les bataillons rompus des Latins l’appelle à grands cris. Chaque fois qu’il tient son ennemi sous son regard, ou qu’il essaye de vaincre par la poursuite la fuite ailée de ses coursiers, la nymphe détourne aussitôt l’insaisissable char. Hélas ! que fera-t-il ? son cœur, que partagent mille sentiments contraires, flotte au milieu d’orageuses angoisses. Cependant Messape court à lui d’une course légère, il tient de la main gauche deux souples javelots armés de pointes de fer : (12, 490) d’un bras vigoureux et adroit il lance à Énée l’un des deux dards ; le héros s’arrête, plie un genou, et se ramasse sous son armure ; le javelot, vivement poussé, frappe le cimier de son casque et renverse son panache. Alors la colère s’élève dans le cœur d’Énée : vaincu par ces lâches ruses, et voyant que les coursiers et le char de Turnus sont toujours entraînés loin de lui, il prend Jupiter à témoin de la foi violée, des autels profanés, et se précipite dans la mêlée ; terrible, et secondé de Mars, il s’excite en aveugle au carnage, et lâche toutes les rênes à son libre courroux.

(12, 500) Quel dieu me donnera des accents pour redire tant d’horreurs, tant de massacres divers, les morts de tant d’illustres guerriers qu’immolèrent tour à tour Turnus et le héros troyen ? Ô Jupiter, comment as-tu permis que de si grands mouvements missent aux prises des nations destinées à vivre dans une concorde éternelle ? Énée frappe sur-le-champ (et ce premier coup raffermit les Troyens) le Rutule Sucron, l’atteint