Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/434

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quel qu’il soit, sera le mien. Si vous mourez, je ferme mes yeux à l’odieuse lumière ; je ne serai pas la captive d’Énée ; il ne sera pas mon gendre. » Lavinie entend ces paroles de sa mère ; les larmes inondent ses joues brûlantes ; une ardente rougeur colore son front pudique, et se répand sur son visage enflammé. Comme le pur ivoire de l’Inde se teint de la pourpre sanglante de Tyr ; comme rougissent les blancs lis, mêlés aux roses ; ainsi éclataient les feux sur le visage de la jeune fille. (12, 70) Turnus ressent tous les troubles de l’amour, et tient ses yeux attachés sur la jeune fille. Il n’en est que plus ardent au combat, et il répond en peu de mots à la reine : « Cessez, ô ma mère, cessez vos pleurs ; et qu’un si triste présage ne me suive pas dans les champs des cruels combats : Turnus n’est plus libre de retarder son heure fatale. Idmon, va porter au tyran phrygien ces paroles, qui ne plairont pas à son lâche cœur : dis-lui que demain, dès que l’Aurore portée sur son char rougira le ciel de ses feux, il ne mène pas ses Troyens contre mes Rutules : Rutules et Troyens, que tous se reposent ; que son sang ou le mien termine la guerre, (12, 80) et qu’ainsi la main de Lavinie soit disputée sur ce champ de bataille. » Il dit, et soudain se retire dans son palais, demande ses coursiers, et se réjouit en les voyant frémir devant lui. Orithye les donna autrefois à Pilumnus ; honneur de leur race, ils passaient la neige en blancheur, les vents en vitesse. Autour d’eux s’empressent leurs conducteurs, qui frappent d’une main caressante leur poitrail retentissant, et qui peignent leur flottante crinière. Turnus enveloppe ses épaules d’une cuirasse où brillent entremêlés l’or et le blanc orichalque ; il s’arme d’une épée, d’un bouclier, d’un casque orné de deux aigrettes rouges : (12, 90) cette épée, le dieu du feu lui-même l’avait forgée pour Daunus son père, et trempée tout ardente dans les eaux du Styx. Ensuite il détache d’une haute colonne de son palais une énorme javeline, dépouille enlevée à Actor, du pays des Aurunces ; il la saisit d’une main vigoureuse, et, secouant l’arme tremblante, il s’écrie : « C’est maintenant, ô ma javeline, toi qui n’as jamais trompé ma belliqueuse envie, c’est maintenant qu’il faut seconder mon bras : autrefois portée par le grand Actor, Turnus te porte aujourd’hui. Viens m’aider à abattre ce Phrygien demi-homme, à déchirer sa cuirasse que cette main lui arrachera, à souiller dans la poussière ces cheveux (12, 100) tout luisants de parfums, et qu’un fer chaud a roulés en boucles ondoyantes. » Ainsi Turnus est poussé de furieux mouvements ; son visage enflammé scintille, le feu qui le brûle jaillit de ses yeux foudroyants. Tel, s’essayant à un premier combat, un taureau pousse des mugissements terribles, éprouve sa colère et ses cornes, heurte de son front le tronc des arbres, fatigue les vents de ses coups, et prélude à l’attaque en dispersant la poussière. Enée de son côté, terrible sous l’armure que lui donna sa mère, réveille en lui l’esprit de Mars, s’échauffe des feux de la colère, et s’applaudit du combat décisif qui doit terminer la guerre. (12, 110) Il rassure ses compagnons et console le triste Ascagne, en leur rappelant les arrêts des destins. En même