Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/433

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cèderai Lavinie. » Latinus lui répond d’un cœur calme : « Ô le plus courageux des guerriers, autant (12, 20) vous montrez de sublime ardeur, autant je dois la tempérer par le conseil, et peser avec crainte toutes les chances de cette lutte aventureuse. Vous avez un royaume, celui de votre père Daunus ; vous avez beaucoup de villes conquises par votre bras ; l’or et le cœur de Latinus sont à vous. Mais il est dans le Latium et dans le pays de Laurente d’autres beautés aussi dignes de nous par leur naissance que Lavinie : souffrez que je m’ouvre à vous sans artifice, et recueillez dans votre esprit ces dures vérités. Il m’était défendu d’unir ma fille avec aucun des prétendants de l’antique Italie ; les oracles des dieux et leurs interprètes me redisaient sans cesse l’arrêt des destins. Vaincu par l’amitié qui m’attache à vous, vaincu par les liens du sang, (12, 30) par les larmes d’une épouse désolée, j’ai rompu tous mes engagements sacrés. J’ai enlevé à Énée ma fille que je lui avais promise ; j’ai levé contre lui des armes impies. Depuis ce jour fatal vous voyez, Turnus, quels malheurs, quels sanglants désastres fondent sur moi : vous voyez quels maux vous le premier vous souffrez avec nous. Vaincus dans deux grandes batailles, c’est à peine si nous défendons derrière ces murs les espérances de l’Italie ; le Tibre fume encore du sang de nos guerriers, et leurs ossements ont blanchi nos vastes campagnes. Pourquoi ces mille retours sur moi-même, et quelle folle inconstance agite mon esprit ? Si, Turnus mort, je dois attacher ces nouveaux alliés à ma fortune, pourquoi ne ferais-je pas plutôt cesser les combats en vous conservant la vie ? (12, 40) Que diront les RutuIes, mon propre sang, que dira l’Italie entière, si (que le sort prononce contre mes paroles !) je vous livre à la mort, si vous périssez pour m’avoir demandé la main de ma fille et le titre de gendre ? Considérez le destin changeant de la guerre ; ayez pitié de votre vieux père, qui gémit loin de vous dans Ardée, sa patrie. » Ce discours ne fléchit point l’intraitable violence de Turnus ; il ne s’en emporte que plus ; et le remède ne fait qu’aigrir son mal. Dès qu’il put parler, il répondit au roi : « L’intérêt qui vous touche pour moi, ô le meilleur des princes, quittez-le, je vous en supplie ; et permettez que je paye de ma vie un peu de gloire. (12, 50) Et nous aussi nous savons d’une main non débile lancer le fer ; et le sang suit les coups que nous portons. Énée n’aura pas toujours près de lui la déesse sa mère, pour l’envelopper, cette femme phrygienne, d’un nuage, et pour cacher sa fuite dans de vaines ténèbres. »

Cependant la reine, qu’épouvantent les chances de cette nouvelle lutte, pleurait, et, se mourant de douleur, serrait entre ses bras son gendre qui brûle de combattre. «Turnus, lui disait-elle, par ces larmes, par l’honneur d’Amata, s’il vous touche encore, je vous conjure, n’ôtez pas à ma vieillesse la seule espérance qui lui reste : vous êtes ma seule consolation dans mes maux ; la gloire, l’empire du Latium sont en vos mains ; sur vous pèse et repose toute notre maison. (12, 60) Je ne vous demande qu’une grâce : n’allez pas essayer vos armes contre celles du Troyen. Le sort de ce combat,