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obligés de fendre la vague des airs qui retarde leur course. D’ailleurs, ces atomes ne vont pas un à un : ils se tiennent et sont agglomérés; et par conséquent ils se tirent, ils se gênent, ils se retardent eux-mêmes, outre l’obstacle qu’ils trouvent dans les résistances extérieures. Mais les éléments qui sont solides et simples, et que nul corps étranger ne peut arrêter dans le vide ; les éléments dont toutes les parties forment un seul tout, et se dirigent ensemble vers un seul endroit où leur penchant les attire, (2, 160) ne doivent-ils pas être plus rapides encore que la lumière du soleil, et se précipiter mille fois plus vite, et dévorer mille fois plus d’espace dans l’intervalle que ses feux mettent à parcourir le ciel ? Car on ne dira pas sans doute que les atomes eux-mêmes ralentissent et suspendent leurs mouvements à dessein, pour examiner toutes choses, et pour régler en conséquence leurs opérations.

Mais quelques ignorants prétendent que, sans le secours des dieux, la matière serait incapable de se plier à tous nos besoins par un arrangement harmonieux, et de faire (2, 170) que les saisons changent, que les fruits poussent, que les êtres exécutent tout ce que leur conseille la céleste volupté ; car la volupté seule, présidant à la vie, pousse les mortels à se perpétuer en accomplissant les douces choses de Vénus, afin que la race ne soit pas éteinte. Lorsque ces ignorants se figurent que les dieux ont créé le monde tout exprès pour les hommes, ils me paraissent être bien loin de la vérité. Pour moi, lors même que je ne connaîtrais pas les éléments des choses, à la seule vue du mécanisme céleste, j’affirmerais sans crainte, je prouverais sans réplique (2, 180) que la nature ne peut être l’ouvrage d’une main divine : tant elle a d’imperfections ! Je te le ferai voir plus tard, cher Memmius ; et il faut en finir d’abord avec le mouvement des atomes.

Voici, je crois, le moment de te convaincre que nulle substance ne peut monter et se soutenir en haut par sa propre force. Que la flamme ne te fasse pas illusion en ce point. Il est vrai que la flamme monte quand elle naît, et monte quand elle croît ; mais il en est de même des moissons florissantes et des arbres, quoique tous les corps pesants inclinent à tomber. (2, 190) Aussi lorsque l’incendie s’élance jusqu’au faîte d’une maison, et que le feu rapide dévore les poutres et les charpentes, ne crois pas qu’il le fasse de lui-même et sans qu’aucune force l’y pousse ; pas plus que le sang, échappé de nos veines, ne jaillit et ne se répand tout seul dans les airs. Ne vois-tu pas aussi comme l’eau rejette les masses de bois qu’on y plonge ? Plus on les enfonce toutes droites, et plus mille bras les poussent avec vigueur, avec peine, plus elle se hâte de les chasser, de les vomir, (2, 200) au point que la moitié, ou plus encore rejaillit et surnage. Et pourtant il est incontestable, je pense, que ces corps aspirent à descendre dans le vide. De même, sans doute, les flammes obéissent à des impulsions cachées et montent dans les airs, quoique leur poids résiste, quoique leur penchant les attire