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mis la main sur Pallas, et détestera le jour où il emporta ces dépouilles. Cependant les Arcadiens, au milieu des gémissements et des larmes, placent le corps de Pallas sur un bouclier, et, l’environnant en foule, l’enlèvent du champ de bataille. Ô combien ton retour va porter de douleur et de gloire à ton père ! le premier jour qui t’envoie au combat t’enlève à la victoire ; mais tu laisses sur ces plaines des monceaux de Rutules terrassés par ton bras.

(10, 510) Ce n’est déjà plus par la voix de la renommée, c’est par un avis sûr qu’Énée apprend un si grand malheur ; on lui dit aussi l’extrême danger où sont engagées ses troupes, et qu’il est temps de secourir les Troyens en déroute. Il part, moissonne tout devant lui de sa bouillante épée, et s’ouvre avec le fer un vaste passage à travers les bataillons latins : c’est toi, Turnus, qu’il cherche, toi encore enivré du sang que tu viens de répandre. Pallas, Évandre, sont présents à ses yeux ; il ne songe qu’à cette table hospitalière, la première à laquelle, étranger en Italie, il est venu s’asseoir ; à la main du vieux roi, gage de son alliance. D’abord il saisit tout vivants huit jeunes gens, dont quatre étaient fils de Sulmon, et les quatre autres d’Ufens ; il les réserve pour être immolés aux mânes de Pallas, (10, 520) et pour arroser de ce sang captif les flammes de son bûcher. Au même instant il pousse de loin un javelot furieux à Magus, qui esquive adroitement le coup ; le trait vole tremblant au-dessus de sa tête. Magus embrasse les genoux d’Énée, et lui parle ainsi : « Par les mânes de votre père, par Ascagne, vos espérances grandissantes, conservez, je vous en conjure, la vie à un fils et à un père. J’ai un palais magnifique, d’immenses amas d’argent ciselé enfouis dans la terre ; j’ai des monceaux d’or ou brut ou façonné. Ce n’est pas de ma mort que dépend la victoire des Troyens ; la vie d’un seul homme n’emportera pas une si grande différence. » (10, 530) Il dit ; Énée lui répond : « Tous ces talents d’or et d’argent que tu m’étales, garde-les pour tes enfants : ces pactes à prix d’or entre combattants, Turnus le premier les a abolis, en tuant Pallas : point de grâce aux Latins ! voilà ce que demandent les mânes d’Anchise, ce que demande mon fils. » À ces mots, il saisit de sa main gauche le casque de Magus, qui le supplie encore, lui courbe la tête, et lui plonge son épée dans la gorge. Non loin de là s’offre à ses yeux le fils d’Hémon, grand prêtre d’Apollon et de Diane : la tiare ceignait ses tempes de ses bandelettes sacrées ; il était tout resplendissant de l’éclat de ses vêtements et de ses armes. (10, 540) Énée marche à lui, le poursuit dans la plaine : le prêtre tombe ; Énée l’atteint, l’immole, et le couvre des ombres de la nuit éternelle. Séreste le dépouille de ses armes et les emporte sur ses épaules, trophée pour toi, ô dieu de la guerre. Le combat se rengage, relevé par Céculus, fils de Vulcain, et par Umbron, venu des montagnes des Marses. Énée en fureur court à eux : déjà de son épée il avait abattu le bras gauche d’Anxur et fracassé l’orbe entier de son bouclier. Anxur, avait prononcé sur son propre sort quelques paroles superbes, dont il attendait de sûrs effets ; déjà même il portait son cœur et ses espérances jusqu’au ciel, se promettant la vieillesse et de longues années. (10, 550) Tarquitus, fils de