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s’échauffe au carnage et qu’il laisse ses remparts ouverts. Turnus abandonne son attaque, et, poussé d’une furieuse colère, il s’élance vers la porte troyenne et sur les deux frères redoutables. D’abord il rencontre Antiphate, qui le premier s’offre à ses coups ; Antiphate était né des amours d’une femme thébaine et du grand Sarpédon : Turnus l’abat sous le javelot italique, qui, volant à travers les airs, va s’enfoncer dans la poitrine du guerrier ; (9, 700) la plaie profonde laisse échapper des flots d’un sang écumant, et le fer, fixé dans les poumons, y tiédit. Alors frappés par sa main terrible, Mérope, Érymante, Aphidne, mordent la poussière. Bitias restait, l’œil enflammé, le cœur frémissant de rage : ce n’est point avec un dard que Turnus l’attaque (un dard ne lui eût point ôté la vie), mais avec la formidable phalarique : lancée du bras dont Jupiter lance la foudre, elle arrive avec un grand sifflement ; les deux cuirs du bouclier de Bitias, et sa fidèle cuirasse au double tissu d’écaillés d’or, ne la peuvent amortir ; le géant tombe de toute sa hauteur, couché dans la poudre. La terre en gémit, et retentit du fracas de son vaste bouclier. (9, 710) Ainsi sur le rivage de Baies tombe dans la mer un vaste amas de pierres que mille mains ont assemblées pour en former une digue puissante : la masse précipitée s’écroule, et s’enfonçant va heurter les profondeurs de l’abîme : la mer est bouleversée et soulève un sable noir ; la haute Prochyte en tremble ; Inarime en est ébranlée ; Inarime, dure couche qui presse, par l’ordre de Jupiter, les flancs de Typhée.

Alors le puissant dieu des batailles, Mars, souffle aux Latins le courage et la vigueur, et presse leurs âmes des vifs aiguillons de sa fougue. Aux Troyens il envoie la Fuite et l’affreuse Épouvante. (9, 720) Les Latins accourent de toutes parts, là où le combat leur est ouvert ; le dieu de la guerre descend tout entier dans leurs cœurs. Pandarus voyant son frère étendu par terre, la triste fortune des Troyens, leurs armes abandonnées à de funestes chances, appuie en dedans ses larges épaules contre la porte du camp, la fait tourner avec un grand effort sur ses gonds, et la ferme, laissant hors des murs un grand nombre des siens engagés dans un rude combat. Les autres rentrent avec lui, et il reçoit dans l’enceinte leur foule éperdue : insensé, qui n’a pas vu dans la mêlée que le roi des Rutules s’était jeté avec lui dans la ville, et qu’il l’y avait enfermé comme un tigre féroce au milieu d’un timide troupeau ! Soudain un feu nouveau s’allume dans les regards de Turnus ; son armure rend un son plus terrible ; son panache sanglant tremble sur son casque, et son bouclier lance de foudroyants éclairs. Les Troyens reconnaissent cette face odieuse, cette taille immense, et tout à coup se troublent. Mais Pandarus s’élance ; il brûle dans sa colère de venger la mort de son frère : « Ce n’est pas ici, crie-t-il à Turnus, le palais d’Amate qui t’a été promis en dot ; et Turnus n’est pas renfermé dans les murs d’Ardée sa patrie. Le voici dans un camp ennemi ; tu ne peux t’en échapper. » Turnus, sans s’émouvoir, lui répond avec un sourire amer : « Eh bien ! si tu as tant de courage, montre-toi, et combattons ensemble ; tu pourras bientôt raconter à Priam que tu as trouvé ici un nouvel Achille. » À ces mots, Pandarus lui lance de toute sa force