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Mais, au contraire, si toutes ces forces ne sont que des jouets ridicules ; si les craintes et les inquiétudes qui poursuivent sans cesse les hommes ne s’émeuvent ni du retentissement des armes, ni des traits cruels ; si elles habitent audacieusement parmi les rois et les puissants de la terre ; (2, 50) si elles ne sont pas éblouies par le rayonnement de l’or ou la splendeur étincelante des vêtements de pourpre, pourquoi douter encore que la raison seule soit assez puissante pour les chasser ? surtout puisque nos angoisses viennent des ténèbres où la vie se passe. Car, de même que les enfants, aveuglés par la nuit, tremblent et ont peur de tout ; de même nous sommes assiégés au grand jour de mille terreurs aussi vaines que celles que les enfants se forgent au sein des ombres. Or, pour dissiper ces ténèbres et cet effroi des âmes, il ne suffit pas des rayons du soleil ni des traits enflammés du jour : (2, 60) il faut la raison, et un examen lumineux de la nature.

Je vais donc expliquer par quels mouvements les atomes forment les corps divers pour les briser ensuite, quelles force les pousse à le faire, et avec quelle vitesse ils se meuvent au sein du vide immense. Écoute, Memmius, et sois tout a mes paroles.

La matière ne peut être compacte et immobile [66], puisque nous voyons chaque substance diminuer à la longue, s’épuiser par ses pertes, et se dérober à nos yeux quand arrive la vieillesse. (2, 70) Mais la masse ne souffre pas de ce dépérissement ; car si les atomes appauvrissent les corps dont ils se détachent, ils accroissent ceux auxquels ils s’ajoutent, et la décrépitude des uns fait éclore la jeunesse des autres. Jamais les atomes ne se fixent, et c’est ainsi que la nature se renouvelle sans cesse, que les générations humaines se font place tout à tour : celles-ci croissent, celles-là dépérissent ; et bientôt les races changent, et le flambeau de la vie passe de main en main, comme la torche des coureurs.

Si tu crois que les éléments se reposent, (2, 80) et que leurs repos enfante de nouveaux mouvements, tu vas te perdre bien loin de la vérité. Car, puisque les atomes errent au sein du vide, ils doivent être ou emportés par leur propre poids, ou poussés par des corps extérieurs : souvent, en effet, les atomes se rencontrent dans leur chute, se choquent, et rejaillissent ainsi dans une direction opposée. Quoi de plus simple, puisque ce sont des corps durs, pesants, solides, et que rien ne leur fait obstacle par derrière ? (2, 88) Pour te convaincre mieux encore du mouvement universel des atomes, souviens-toi que le monde n’a pas de fond, que les atomes ne trouvent à se fixer nulle part, parce que le vide ne finit pas, et qu’il leur ouvre de tous côtés un espace sans mesure ni limite, comme tout le démontre, comme nous en avons donné des preuves irrécusables.

(2, 94) Ainsi, donc les corps élémentaires s’agitent sans repos dans les profondeurs du vide. Livrés à ce mouvement perpétuel et dont la direction varie, les uns en se choquant se rejettent à de