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perbes des Latins ont chassés de l’Hespérie. Nous venons trouver Évandre. Dites-lui que (8, 120) les chefs de la nation troyenne sont ici, et qu’ils demandent à unir leurs drapeaux aux siens. » Au nom si grand de Troie, Pallas, frappé d’étonnement, s’arrête et répond : « Qui que vous soyez, ô étranger, descendez sur ce rivage ; venez, et paraissez devant le roi mon père ; entrez sous notre toit hospitalier. » En même temps il tend la main à Énée, et colle ses lèvres sur celle du héros. Les Troyens s’avancent dans le bois, et abandonnent le fleuve. Énée s’approche d’Évandre, et lui dit ces paroles amies : « Ô le meilleur des Grecs, vous à qui la fortune a voulu que j’offrisse en suppliant la branche de l’olivier ornée de la bandelette sacrée, votre nom ne m’a point effrayé, quoique vous soyez un chef grec, un Arcadien ; (8, 130) quoiqu’un même sang vous unisse aux deux Atrides. La seule droiture de mon cœur, les saints oracles des dieux, de communs ancêtres, votre renommée répandue par toute la terre, m’ont enchaîné d’avance à vous ; les destins et ma volonté m’ont poussé vers Évandre. Dardanus, le père des Troyens, le fondateur d’Ilion, fils d’Électre, comme les Grecs le racontent, passa en Troade. Électre eut pour père le grand Atlas, qui soutient sur ses épaules la voûte éthérée. Vous tirez votre origine de Mercure, que la belle Maïa conçut et mit au monde sur les sommets glacés du Cyllène. (8, 140) Maïa (si nous en croyons d’antiques récits) a pour père Atlas, le même Atlas qui porte le ciel et ses astres. Ainsi les rameaux séparés de notre race ont la même racine. Fort de ces droits, je ne vous ai point envoyé d’ambassadeurs ; je n’ai point tenté de surprendre votre bonne foi par des artifices détournés. C’est moi, moi-même qui viens à vous, le front haut et confiant ; c’est moi qui touche votre seuil en suppliant. La nation des Rutules poursuit votre peuple et le mien de la même guerre cruelle : si elle nous repousse, elle ne croit plus que rien l’empêche de soumettre à son joug l’Hespérie entière, et de régner en maîtresse sur les rivages que baignent les deux mers. (8, 150) Recevez ma foi, et donnez-moi la vôtre. J’ai avec moi des cœurs invincibles à la guerre, d’impétueux courages, une jeunesse éprouvée par le malheur. »

Énée avait parlé, et depuis longtemps Évandre contemplait ses traits, ses yeux, et le parcourait tout entier de ses regards curieux. Alors il lui répond en peu de mots : « Quel plaisir, ô le plus brave des Troyens, de vous recevoir et de vous reconnaître ! Comme vous me rappelez le grand Anchise ! ce sont ses paroles, c’est le son de sa voix, c’est son visage. Je me souviens que le fils de Laomédon, Priam, visitant les États de sa sœur Hésione, aborda à Salamine, et vint voir notre froide Arcadie. (8, 160) Alors la jeunesse en sa fleur ombrageait mes joues de son premier duvet : j’admirais les capitaines troyens ; j’admirais le fils de Laomédon ; mais plus haut qu’eux tous marchait Anchise : dans la jeune ardeur de mon âme je brûlais d’aborder le héros, de joindre ma main à la sienne. Je m’approchai de lui, et je le conduisis, heureux de l’avoir pour hôte, dans les murs de Phénée. En