Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/353

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des mères ; elle pleure sur sa fille, elle gémit de son hymen avec un Phrygien : « Hélas ! est-il donc vrai ? vous, son père, vous donnez Lavinie à ces Troyens bannis ? (7, 360) Et vous n’avez pitié ni de votre fille, ni de vous-même, ni de sa mère, qu’au premier aquilon ce perfide ravisseur va délaisser, entraînant avec lui la vierge sur les mers ! N’est-ce pas ainsi que le berger phrygien pénétra dans Lacédémone, enleva la fille de Léda, et l’emmena vers les murs de Troie ? Que sont devenues vos saintes promesses, votre ancienne tendresse pour les vôtres, votre parole tant de fois donnée à Turnus, qu’unit à vous le sang de mes aïeux ? Si vous cherchez pour la fille des rois latins un époux de race étrangère, si telle est votre ferme résolution, et si les oracles de Faunus votre père vous pressent de leur sens impérieux, moi je regarde tout pays, libre de votre sceptre royal, (7, 370) comme étranger, et je pense que les dieux l’entendent ainsi : d’ailleurs Turnus, si vous remontez aux premières origines de sa maison, a pour ancêtres Inachus et Acrisius, et sort des rois de Mycènes. »

Ainsi elle tentait, mais en vain, d’ébranler Latinus par ces plaintes : alors se glissant jusque dans ses entrailles le serpent y verse le poison des Furies, et se répand dans tout son corps, Bientôt la malheureuse, troublée par d’effroyables images, et saisie d’un furieux délire, s’emporte comme une insensée à travers la ville. Tel, chassé par le fouet, voltige ce buis tournant (7, 379) que les enfants, sous les portiques déserts, exercent sans relâche dans un vaste cercle : poussé par la sifflante courroie, il s’emporte en de vastes contours : la jeune et ignorante troupe l’observe avec étonnement, admire ses impétueux écarts et sa vitesse, que raniment les coups. D’une course non moins rapide la reine court à travers les villes et les peuples belliqueux de son empire. C’est peu : se figurant qu’elle est possédée de l’esprit de Bacchus, elle se porte à de plus grandes violences, elle entre dans de plus grandes fureurs : la voilà qui fuit dans les forêts, et qui cache sa fille sous les ombrages des monts, pour la ravir à l’hymen du Troyen, pour retarder le moment où s’allumeront les torches nuptiales. « À moi, s’écriait-elle dans ses transports, à moi, divin Bacchus ! toi seul es digne de ma fille ; (7, 390) c’est pour toi, oui, c’est pour toi qu’elle prend le thyrse léger, pour toi qu’elle se mêle à nos chœurs, pour toi qu’elle nourrit sa chevelure sacrée. » Le bruit se répand de ses fureurs : le même feu embrase toutes les femmes du Latium ; toutes ont déserté leurs demeures pour les forêts ; elles livrent aux vents leur cou et leur chevelure. D’autres remplissent les airs de hurlements poussés d’une voix tremblante, et, couvertes de peaux bigarrées, elles agitent des dards entrelacés de pampres. Au milieu d’elles Amata, une torche à la main, et brûlant de rage, chante l’hymen de Turnus et de sa fille. Tout à coup elle s’écrie, roulant des yeux égarés et sanglants : (7, 400) « Femmes latines, vous toutes qui êtes mères, écoutez-moi : si vous gardez encore quelque tendresse à la malheureuse Amata, si le saint