Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attelage ; les autres à bander leurs arcs redoutables, et à lancer d’un bras vigoureux de souples dards ; d’autres, à se provoquer à la course ou à la lutte. L’un d’eux, poussant son coursier, prend les devants, vole vers le vieux roi, et lui annonce que des étrangers à la haute stature, aux vêtements inconnus, sont arrivés dans la ville. Le roi ordonne qu’on les introduise dans son palais ; et lui-même, pour les recevoir, s’assied sur le trône de ses ancêtres. (7, 170) Dans le lieu le plus élevé de la ville était un vaste et majestueux édifice, soutenu sur cent colonnes ; c’était le palais de Picus, environné de forêts : une antique religion le remplissait d’une sainte horreur. C’était là que, pour premiers auspices, les rois venaient recevoir le sceptre, et qu’on levait les faisceaux devant eux : ce temple était pour eux le sanctuaire de la justice ; on y célébrait les festins sacrés ; des béliers y étaient immolés, et les premiers de l’État se rangeaient en ordre autour de tables immenses. Sous ce vestibule apparaissaient d’antiques statues de cèdre représentant la suite des aïeux du roi ; c’étaient Italus, Sabinus qui planta la vigne et qui tient encore à la main la serpette recourbée, (7, 180) le vieux Saturne, Janus au double front, et tous les autres rois de la nation depuis son origine ; guerriers qui avaient reçu de glorieuses blessures en combattant pour la patrie. Aux portes sacrées du palais étaient suspendues les dépouilles de l’ennemi, des chars captifs, des haches, des panaches, les gonds immenses des portes conquises, des javelots, des boucliers, des éperons arrachés aux navires. Au milieu de ces trophées paraissait, tenant à la main le bâton augural, vêtu de la courte tunique, et portant au bras gauche un bouclier, Picus, le dompteur de coursiers : Circé, son amante, transportée par sa passion, (7, 190) le frappa de sa baguette d’or, et par la vertu de ses breuvages le changea en oiseau, et répandit sur ses ailes les plus vives couleurs. Tel était ce temple des dieux : ce fut là qu’assis sur le trône de ses pères Latinus reçut les Troyens. Lorsqu’ils eurent été introduits, le roi le premier leur parla ainsi avec bonté :

« Enfants de Dardanus, nous connaissons votre ville et votre origine ; nous savions qui vous étiez, avant que vous n’eussiez tourné vos proues vers ce rivage : que demandez-vous ? Quel motif ou quelle nécessité vous a portés à travers tant de mers jusqu’aux bords ausoniens ? Est-ce trompés par les astres, ou poussés par les tempêtes (7, 200) qui fatiguent si souvent les matelots en pleine mer, que vous êtes entrés dans notre fleuve et que vous vous êtes abrités dans ses eaux ? Ne fuyez point mon hospitalité, et connaissez les Latins, le peuple de Saturne : ce n’est point la loi qui les enchaîne à l’équité ; justes par inclination, ils sont restés fidèles à l’exemple de cet antique dieu. Je me souviens encore (mais le récit en est obscurci par les ans) que des vieillards de la nation des Aurunces m’ont autrefois raconté que Dardanus, né dans ces campagnes, pénétra jusqu’aux villes phrygiennes de l’Ida, après avoir passé par Samos de Thrace, aujourd’hui la Samothrace ; il était parti de Corythe, ville de Tyrrhénie : (7, 210) main-