Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/348

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leurs misères ; vite Énée le saisit, et, frappé du sens divin qu’il renferme, il l’arrêta sur les lèvres de son fils : (7, 120) « Salut, s’écrie-t-il aussitôt, terre que me devaient les destins ; salut, dieux tutélaires de Troie, dieux fidèles, salut : ici est notre demeure, ici notre patrie : Anchise, il m’en souvient encore, en me dévoilant le secret des destins, a laissé dans mon esprit ces paroles : "Mon fils, quand, poussé sur un rivage inconnu, la faim te forcera, les mets consumés, de manger les tables, alors tu pourras espérer un sûr asile pour tes destins fatigués ; alors souviens-toi de poser là de tes mains les fondements de ta nouvelle ville, et de la fortifier." Voilà donc cette famine tant redoutée ; voilà que s’accomplissent les derniers oracles qui promettaient un terme à nos malheurs. (7, 130) Courage donc, compagnons ; et demain aux premières lueurs de l’aurore, allons explorer ces lieux, en reconnaître les habitants et les villes, et portons-nous loin du port sur des points divers. Aujourd’hui faites des libations en l’honneur de Jupiter ; invoquez dans vos prières mon père Anchise, et que les tables soient de nouveau chargées de vins. » À ces mots Énée ceint sa tête d’un rameau vert ; en même temps il invoque le Génie du lieu, la Terre qui naquit avant les dieux, les nymphes, et les fleuves de l’Ausonie qui lui sont encore inconnus, la Nuit et les astres qui se lèvent dans les ténèbres, Jupiter Idéen, Cybèle Phrygienne, (7, 140) Vénus sa mère dans le ciel, et Anchise son père dans l’Érèbe. Soudain le père tout-puissant des dieux tonne trois fois dans un ciel pur, et fait rayonner au haut des airs un nuage de flamme et d’or, qu’il secoue lui-même d’une main visible. En même temps le bruit se répand dans l’armée des Troyens, que le jour est enfin arrivé où ils vont bâtir les murs d’un nouvel Ilion. Ils recommencent donc à l’envi leurs festins, et, ces heureux présages les transportant d’allégresse, ils relèvent les cratères et les remplissent jusqu’au bord. Le lendemain, dès que l’Aurore éclaira la terre de ses premiers feux, les Troyens se divisent, vont reconnaître la ville, les frontières et les rivages de la nouvelle contrée : ici est le lac formé par la source du Numicus ; (7, 151) ce fleuve, c’est le Tibre ; cette contrée est habitée par les belliqueux Latins. Alors le fils d’Anchise choisit parmi ses compagnons cent ambassadeurs, auxquels il ordonne de marcher vers les murs de la cité royale. Ils devaient paraître devant le roi couronnés de branches d’olivier, lui offrir des présents, et lui demander son alliance. Ils partent, ils volent. Cependant Énée trace un fossé, humble enceinte de sa ville future, en bâtit les premières demeures, les fortifie, et les entoure comme un camp de créneaux et de retranchements. (7, 160) Déjà les ambassadeurs avaient achevé leur route, et voyaient les tours et les hauts édifices de la capitale des Latins ; déjà ils entraient dans ses murs. Hors de la ville, des enfants et des jeunes gens dans la fleur de l’âge s’exerçaient, les uns à manier des coursiers, et à dompter un poudreux