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immense bourdonnement, s’abattre sur la cime du laurier, s’entrelacèrent les unes aux autres par les pattes, et tout à coup, se ramassant en essaim, apparurent suspendues au feuillage de l’arbre sacré. Le devin consulté répondit : « Je vois un guerrier étranger arriver sur nos bords ; je vois un peuple nombreux (7, 70) venir des mêmes lieux que cet essaim, et dominer du haut de nos citadelles. » C’est peu : un jour que, brûlant sur les autels un chaste encens, la vierge Lavinie se tenait près de son père, on vit, ô terreur ! le feu sacré saisir ses longs cheveux, toute sa parure s’enflammer en pétillant, son bandeau royal, sa couronne de pierreries s’embraser : on la vit elle-même, enveloppée d’une pâle lumière et d’un tourbillon de fumée, répandre le feu dans tout le palais. Ce prodige semble effrayant aux devins ; tous en augurent une brillante destinée pour la fille des rois, (7, 80) mais pour les peuples l’embrasement d’une grande guerre.

Cependant le roi, que ces prodiges alarment, va consulter les oracles divins de son père Faunus, et s’enfonce dans les bois sacrés de la profonde Albunée, qui s’échappe à flots retentissants de sa source sacrée, et qui du sein des ombrages épais exhale d’horribles vapeurs. C’est là que les peuples d’Italie et toute la contrée d’Œnotrie viennent dans leurs doutes pieux chercher les réponses du sort. Là, quand le prêtre a porté ses dons sur l’autel et dépouillé les brebis immolées, il se couche pendant la nuit silencieuse sur leurs peaux étendues, et s’y endort : alors il voit voltiger autour de lui mille fantômes étranges ; (7, 90) il entend mille voix diverses ; il jouit du commerce des dieux, et, jusque dans les profondeurs de l’Averne, il interroge l’Achéron. Alors le roi Latinus, attendant venir les réponses des dieux, immolait cent brebis chargées de laine, et s’endormait couché sur leurs toisons étendues. Soudain une voix sortant du fond de la forêt fit entendre ces mots : « Garde-toi, ô mon fils, d’unir ta fille à un époux latin ; ne consens pas à l’hymen qui s’apprête : un étranger viendra, dont le sang mêlé avec le nôtre (7, 100) élèvera jusqu’aux astres la gloire de notre nom, et dont les descendants verront tout ce que le soleil éclaire d’un océan à l’autre rangé sous leurs lois et abattu à leurs pieds. » Cette réponse de son père Faunus et ces avertissements donnés dans la nuit silencieuse, Latinus ne les tint pas secrets ; mais déjà volant au loin, la Renommée les avait répandus dans les villes de l’Ausonie, lorsque les petits-fils de Laomédon vinrent enchaîner leurs vaisseaux au rivage du Tibre.

Énée, le bel Iule et les principaux chefs troyens, vont d’abord se reposer sous les rameaux touffus d’un grand arbre. Là des mets leur sont préparés ; et des gâteaux de froment posés sur l’herbe (7, 110) (ainsi l’avait prescrit Jupiter) leur servant de plats, ils chargent de fruits sauvages les tables de Cérès. Tous leurs mets épuisés, la faim les força de mordre dans les gâteaux, d’attaquer d’une main et d’une dent audacieuses cette pâte fatale, et de n’en pas épargner les larges carrés. Alors Iule : « Oh ! nous mangeons jusqu’à nos tables. » : Ce mot plaisant fut le premier qui leur annonça la fin de