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son ; il veut que ces murailles soient celles d’Ilion, ces champs ceux de Troie ; le Troyen Aceste se réjouit d’unir à son empire la colonie troyenne ; il lui donne un forum, des lois, un sénat. (5, 759) Alors on élève à Vénus d’Idalie, sur le sommet de l’Éryx, un temple voisin des astres ; enfin un prêtre, un bois sacré qui s’étend au loin, consacrent le tombeau d’Anchise. Neuf jours s’étaient écoulés dans les festins, les sacrifices et les offrandes ; les vents doux avaient aplani les mers, et l’auster, élevant de nouveau ses brises heureuses, appelait les Troyens à cingler au large. Alors éclatent sur toute la rive d’immenses pleurs ; et le jour et la nuit de longs embrassements retardent le moment du départ. Alors les mères troyennes elles-mêmes, et ceux à qui tout à l’heure la vue des flots semblait affreuse, le seul nom de la mer insupportable, veulent partir, et supporter tous les maux du voyage. (5, 770) Énée attendri les console par de douces paroles, et les recommande en pleurant au cœur troyen d’Aceste. Ensuite il ordonne qu’on immole trois jeunes taureaux à Éryx, une brebis aux Tempêtes, et que chacun rompe ses amarres. Lui-même, le front ceint d’une branche d’olivier, debout sur la proue et une coupe à la main, jette dans les flots amers les entrailles des victimes, et y verse le vin des libations. On part ; le vent, soufflant en poupe, presse de son haleine les mâts qui fuient ; les rameurs à l’envi frappent la mer, et en balayent la surface.

Cependant Vénus, en proie aux inquiétudes, aborde Neptune, (5, 780) et, lui ouvrant son âme, exhale ses douleurs en ces mots : « La violente colère de Junon et son insupportable haine me forcent, ô Neptune, de descendre aux humbles prières : ni le temps, ni les pieux hommages de mon fils, ne peuvent adoucir la fille de Saturne ; rien ne réduit cet inflexible cœur, ni les volontés de Jupiter, ni les arrêts des destins. C’est peu que dans son abominable haine, elle ait effacé de la terre phrygienne la ville des Troyens, et traîné de misères en misères leurs déplorables restes ; elle poursuit encore les cendres et les os d’Ilion anéanti : la cause de tant de fureur, elle seule la sait et pourrait la dire. (5, 789) Vous-même naguère avez vu de vos propres yeux comme elle a soulevé contre la flotte troyenne les flots libyens, bouleversé le ciel et la mer, appelant à son aide les tempêtes d’Éole, à la fin impuissantes ; et cela, ô comble d’audace ! dans votre propre empire. Voilà qu’aujourd’hui par un nouveau forfait elle souffle sa rage aux femmes troyennes, les excite à brûler leurs vaisseaux, et force mon fils, privé d’une partie de sa flotte, à laisser ses compagnons sur des bords étrangers. Pour dernière grâce, je vous demande de permettre qu’il fasse voile en sûreté sur vos ondes, et qu’il puisse atteindre le rivage du Tibre et les bords Laurentins, si je ne demande pour lui que ce que les destins lui accordent, et s’il est vrai que les Parques lui donnent ces murs tant promis. »

Le fils de Saturne, le dominateur des mers profondes, répond à Vénus : (5, 800) « Qui a plus que vous, déesse de Cythère, le droit de vous fier à un empire où vous avez reçu la naissance ? N’ai-je pas mérité votre confiance, moi qui sou-