Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/273

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lui mes tristes exploits ; dis-lui que Néoptolème dégénère : (2, 550) mais avant, meurs." Il dit, traîne vers l’autel le vieillard tremblant, et dont les pieds glissent dans le sang du dernier de ses fils ; saisit d’une main sa chevelure, de l’autre lève son épée étincelante, et la lui plonge dans le sein jusqu’à la garde. Ainsi finit Priam ; ainsi le destin nous l’enleva, après qu’il eut vu Troie incendiée, Pergame renversé de fond en comble ; ainsi périt ce dominateur de l’Asie, fier de commander à tant de peuples, de régner sur tant de terres : maintenant gît sur le rivage ce reste d’un grand roi ; sa tête est séparée de ses épaules ; ce n’est plus qu’un cadavre sans nom.

« Alors pour la première fois je sentis une affreuse horreur m’environner ; (2, 560) j’en demeurai stupide ; l’image de mon père chéri me revint à l’esprit, quand je vis ce monarque, comme lui chargé d’ans, exhaler sous le fer ennemi sa misérable vie : je pensai à Créuse, mon épouse, que j’avais abandonnée ; à ma maison, livrée peut-être au pillage ; aux maux qui menaçaient mon enfant, mon Iule. Je regarde derrière moi, et je cherche si quelques amis m’entourent encore : tous, fatigués de combattre, m’ont abandonné, et d’épuisement se sont précipités de nos toits, ou jetés au milieu des flammes.

« Je restais seul, lorsque, errant à la clarté de l’incendie et portant çà et là des regards inquiets, j’aperçois, sur le seuil du temple de Vesta, Hélène, qui y cherchait quelque retraite obscure et silencieuse. (2, 571) Cette femme, la furie d’Argos et de Troie, redoutant et la vengeance des Troyens qui voyaient Pergame renversé par ses mains adultères, et la vengeance des Grecs, et le ressentiment d’un époux indignement délaissé, s’était cachée là, et, odieuse à tous, se tenait à l’ombre des autels. Je sentis s’allumer en moi tous les feux de la colère, et je brûlai de venger sur cette femme ma patrie en ruines, et de châtier enfin tant de scélératesse. "Quoi ! Me dis-je, cette femme ira, saine et sauve, revoir Sparte et Mycènes, sa patrie ? Reine encore et triomphant d’Ilion, elle rentrera dans son empire ? Elle reverra son époux, sa maison, son père et ses enfants, (2, 580) environnée de la foule des Troyennes et de nos femmes, devenues ses esclaves ? Et Priam aura péri sous le glaive ? Et Troie aura brûlé tout entière ? Et ces rivages auront tant de fois regorgé du sang troyen ? Non ; et quoiqu’il n’y ait nulle gloire à tuer une femme, et tout ignoble que soit la victoire, on me louera pourtant d’avoir exterminé ce monstre, et puni l’infâme comme elle le méritait ; enfin j’éteindrai dans son sang les flammes de ma vengeance ; son sang rassasiera les mânes des miens."

« Ainsi je m’emportais, ainsi m’égarait la fureur, (2, 589) quand tout à coup Vénus, ma mère, paraît à mes yeux, plus brillante que je ne l’avais jamais vue, et resplendissante, au milieu des ténèbres, de la plus pure lumière des cieux : je reconnus la déesse, aussi belle, aussi majestueuse qu’elle apparaît dans l’Olympe aux immortels. Elle retint mon bras, et me dit de sa bouche de rose : "Quel si grand sujet allume en