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à travers les campagnes et les taureaux et les étables. J’ai vu (2, 500) Pyrrhus, enivré de carnage ; j’ai vu les deux Atrides sur le seuil du palais ; j’ai vu Hécube, et ses cent filles, et Priam ensanglantant les autels et les feux qu’il avait lui-même consacrés. Les couches nuptiales de ses cinquante fils, immense espérance de postérité, ces lambris superbes, cet or, ces riches dépouilles de la Phrygie, ont péri ; les Grecs sont partout où n’est pas la flamme.

« Mais peut-être, ô reine, voulez-vous savoir comment Priam acheva sa destinée. Lorsqu’il eut vu Troie prise et tombée, son palais croulant de toutes parts, et l’ennemi vainqueur au sein même de ses foyers, (2, 509) le vieillard charge en vain ses épaules tremblantes d’armes que depuis longtemps elles n’étaient plus accoutumées à porter ; il prend un glaive, hélas ! inutile dans ses mains, et, résolu de mourir, se jette à travers la foule des ennemis. Au milieu du palais, et sous la voûte lumineuse des cieux, il y avait un grand autel, sur lequel un antique laurier penchait ses rameaux, embrassant de son ombre les dieux domestiques. Autour de cet autel se tenaient serrées Hécube et ses filles, pareilles à des colombes que la noire tempête a précipitées en troupe sur la terre ; immobiles, elles embrassaient les statues des dieux. Dès qu’Hécube voit le vieux roi couvert des armes d’un jeune homme : « Malheureux époux, lui dit-elle, quelle funeste démence (2, 520) vous pousse à vous charger de ces traits ? Où courez-vous ? Ce n’est pas d’un tel secours, ni d’un pareil défenseur, que nous avons besoin aujourd’hui ; non, et mon Hector lui-même ne nous sauverait pas. Venez enfin près de nous ; cet autel nous protégera tous ; ou vous mourrez avec nous." Elle dit, attire à elle le vieillard, et le place dans l’asile sacré.

« Cependant Polite, l’un des enfants de Priam, échappé des mains sanglantes de Pyrrhus, fuyait à travers les traits et les ennemis sous les longs portiques du palais, et parcourait blessé les galeries solitaires : Pyrrhus, qui brûle de l’achever, (2, 530) le poursuit, et déjà le touche de sa main, déjà l’accable de sa lance. Polite enfin court jusqu’à l’autel ; et là, sous les yeux et à la face de ses parents, il tombe, et rend son dernier souffle avec son sang. En ce moment Priam ne se possède plus ; et quoique la mort déjà l’environne, il ne retient ni sa voix ni sa colère. "Barbare, s’écrie-t-il, que les dieux (s’il est dans le ciel quelque justice vengeresse) te récompensent dignement d’un si exécrable forfait, et qu’ils t’en payent le prix que tu mérites, toi qui m’as fait voir mon fils mourant à mes yeux, toi qui as souillé la face d’un père du sang de son enfant ! (2, 540) Mais cet Achille, dont tu te vantes faussement d’être le fils, ne fut pas tel que toi envers Priam, son ennemi ; les droits et la sainteté des suppliants le touchèrent ; il me rendit pour l’ensevelir le corps défiguré de mon Hector, et me renvoya libre dans le palais de mes pères." En disant ces mots, le vieillard lance à Pyrrhus un trait faible et sans portée, que repousse aussitôt l’airain sonore de son armure, et qui pend vainement à la surface effleurée du bouclier. Alors Pyrrhus : "Va donc annoncer toi-même à mon père ce que tu vois ; raconte-