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Le temps n’existe pas non plus par lui-même [460] : (1, 460) c’est la durée des choses qui nous donne le sentiment de ce qui est passé, de ce qui se fait encore, de ce qui se fera ensuite ; et il faut avouer que personne ne peut concevoir le temps à part, et isolé du mouvement et du repos des corps.

Enfin, quand on nous parle des Troyens vaincus par les armes, et de l’enlèvement de la fille de Tyndare, gardons-nous bien de nous laisser aller à dire que ces choses existent par elles-mêmes, comme survivant aux générations humaines dont elles furent les accidents, et que les siècles ont emportées sans retour. (1, 470) Disons plutôt que tout événement passé est un accident du pays, et même du peuple qui l’a vu s’accomplir.

S’il n’existait point de matière ni d’espace vide dans lequel agissent les corps, jamais les feux de l’amour, amassés par la beauté d’Hélène dans le cœur du Phrygien Pâris, n’eussent allumé une guerre que ses ravages ont rendue fameuse, et jamais le cheval de bois n’eût incendié Pergame la Troyenne, en enfantant des Grecs au milieu de la nuit. Tu vois donc que les choses passées (1, 480) ne subsistent point en elles-mêmes, comme les corps, et ne sont pas non plus de même nature que le vide ; mais que tu dois plutôt les appeler accidents des corps, ou de cet espace dans lequel toutes choses se font.

Parmi les corps, les uns sont des éléments simples et les autres se forment de leur assemblage. Les éléments ne peuvent être rompus ni domptés par aucune force, tant ils sont solides ! Et pourtant, il semble difficile de croire que des corps aussi solides existent dans la nature, (1, 490) car la foudre du ciel perce les murs de nos demeures, ainsi que le bruit et la voix ; le fer blanchit au feu ; des vapeurs ardentes font éclater les pierres ; les flammes amollissent et résolvent la dure substance de l’or ; l’airain, vaincu par elles, fond comme la glace ; la chaleur et le froid pénètrent aussi l’argent, car nous sentons l’un et l’autre à travers les coupes que nous tenons à la main, quand on y verse d’en haut une onde limpide : tant il semble que la matière manque de solidité. Mais puisque la raison et la nature même (1, 500) nous empêchent de le croire, cher Memmius, écoute ; je vais te prouver en quelques vers qu’il y a des corps solides et impérissables, et nous les regardons comme les éléments des choses et les germes du monde, qui est formé tout entier de leur substance.

D’abord, puisque nous avons trouvé que la matière et l’étendue où elle s’agite sont deux choses opposées par leur double nature, chacune doit être indépendante, et pure de tout mélange : car il n’y a pas de matière là où s’étend le vide, (1, 510) il n’y a pas de vide là où se tient la matière. Les corps premiers sont donc solides, et manquent de vide.

D’ailleurs, puisque les corps formés par eux