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plaintes, il s’avance à grands pas vers Carthage. Cependant Vénus l’avait environné lui et Achate d’une obscure vapeur, et les avait enveloppés comme d’un voile d’une nuée épaisse, afin que nul ne pût les voir, ni s’approcher d’eux, ni retarder leur marche, ni les interroger sur les causes de leur arrivée. La déesse revole vers Paphos, et joyeuse va revoir ces lieux qu’elle aime. Là est son temple ; là l’encens de Saba fume sur cent autels, que des fleurs toujours nouvelles embaument du parfum de leurs guirlandes.

Cependant Énée et Achate s’engagent dans le sentier ouvert devant eux. Déjà ils gravissaient la colline qui domine au loin la ville, (1, 420) et d’où ses hautes murailles se découvrent aux yeux. Énée étonné contemple ces immenses ouvrages, autrefois des cabanes ; il admire ces portes, ces mille voies aplanies de la bruyante cité. Partout les Tyriens se portent d’une commune ardeur aux travaux : ceux-ci élèvent les murs de la citadelle, les flanquent de tours, et roulent à force de bras d’énormes pierres ; ceux-là choisissent un terrain pour s’y bâtir une demeure, et y tracer un fossé d’enceinte. Ici on élit des juges, des magistrats, et le corps sacré du sénat ; là on creuse un port ; ailleurs on pose les assises profondes d’un théâtre ; et d’immenses colonnes sont taillées dans le roc, hautes décorations des scènes futures. (1, 430) Ainsi les abeilles, quand l’été renaît avec ses chauds soleils, s’exercent au travail à travers les campagnes fleuries, et font sortir de la ruche les jeunes essaims, l’espoir de la nation : les unes pétrissent le miel liquide, et remplissent du doux nectar les alvéoles gonflés ; les autres reçoivent les fardeaux de celles qui arrivent, ou, se rassemblant en cohortes serrées, elles écartent des ruches la troupe paresseuse des frelons. Tout agit, tout s’échauffe ; l’air est embaumé des suaves odeurs du thym et du miel. Heureux, s’écria Énée, heureux ceux qui voient s’élever leurs murailles ! Et en même temps il regardait le faîte des toits grandissants de Carthage. À la faveur du nuage qui l’environne, il se porte (ô prodige !) (1, 440) au milieu des Tyriens, se mêle à la foule, est partout présent et invisible. Il y avait au milieu de la ville un bois plein de délicieux ombrages ; c’était là que les Phéniciens, ballottés par les ondes et les tempêtes, avaient pris terre : en fouillant le sol, ils avaient découvert la tête d’un coursier ardent que Junon elle-même leur avait montrée ; signe manifeste qui promettait à la nouvelle nation la gloire des armes et les faciles ressources d’une abondance éternelle. Là Didon faisait bâtir et consacrait à Junon un temple magnifique, plein des dons les plus riches et de la majesté de la déesse. On voyait s’élever son vestibule d’airain, où l’on montait par des degrés ; l’airain liait entre elles les poutres de l’édifice ; les portes gémissaient sous des gonds d’airain. (1, 450) Là s’offrit pour la première fois aux regards d’Énée un spectacle nouveau qui calma ses douleurs ; là pour la première fois il osa espérer des jours meilleurs, et prendre confiance en sa fortune moins déplorable. Tandis qu’en attendant la reine il parcourt des yeux toutes les magnificences du temple ; tandis qu’il admire la fortune étonnante de la nouvelle cité, et ces merveilleux ouvrages de tant de mains