Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/226

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Et les lynx de Bacchus, au poil moucheté, et la race infatigable des loups, et les chiens, quelle n’est pas leur fureur ? Quels combats les cerfs eux-mêmes, les timides cerfs, ne se livrent-ils pas ! Mais rien n’égale les emportements des cavales ; c’est Vénus elle-même qui leur inspira ses fureurs, lorsqu’elle fit déchirer Glaucus de Potnia par les quatre juments qui traînaient son char. L’amour emporte les cavales par delà le mont Gargare et les ondes retentissantes (3, 270) de l’Ascanium : point de montagnes qu’elles ne franchissent, point de fleuves qu’elles ne passent à la nage. Voyez-les : sitôt que le feu s’allume dans leurs veines avides, au printemps surtout, quand la chaleur vitale se ranime, elles se tiennent sur les hauts rochers ; là, tournées vers le couchant, et la bouche ouverte au zéphyr, elles en aspirent l’haleine amoureuse ; et souvent, ô prodige incroyable ! le vent seul les féconde. C’est alors qu’elles s’enfuient par les monts, les rochers et les vallées profondes ; non pas du côté où tu souffles, doux Eurus, ni vers les régions où se lève le soleil, mais vers ces plages qui voient naître Borée, le Caurus et le noir Auster, là où des pluies glaciales ne cessent d’attrister les cieux. (3, 280) C’est alors qu’elles distillent de leurs flancs échauffés l’hippomane, comme l’appellent les bergers ; l’hippomane, poison lent, que recueillent souvent les cruelles marâtres, et qu’elles mêlent avec des herbes impures et d’infernales paroles. Mais tandis que, charmé par mon sujet, je m’égare en ces mille détails, le temps fuit, l’irréparable temps. C’est assez parler des grands troupeaux : il me reste à dire comment on fera paître les brebis aux blanches toisons, et les chèvres aux poils pendants. C’est de la peine pour vous, ô robustes habitants des campagnes ; mais n’attendez de là qu’honneur et que profit. Pour moi, je sais combien il est difficile de relever par le beau langage (3, 290) d’aussi petites choses, et de leur donner ce peu de lustre. Mais je sens qu’un doux charme m’entraîne vers les cimes désertes du Parnasse ; oui, je veux gravir ces sommets, où nul mortel avant moi n’a marqué de ses pas les molles pentes qui mènent à la fontaine de Castalie. C’est maintenant, ô vénérable Palès, maintenant qu’il faut que j’enfle ma voix.

D’abord je veux que tes brebis, retenues sous le doux couvert de leurs étables, s’y nourrissent d’herbages, jusqu’à ce que le printemps revienne avec ses feuilles nouvelles. Que la paille et la fougère, répandues par brassées sur le sol de l’étable, le rendent moins dur à leurs corps délicats ; ainsi le froid ne les incommodera pas, ni les maux hideux de l’hiver, la gale et la goutte. (3, 300) Je veux aussi que tu ailles cueillir pour tes chèvres de petites branches d’arboisier avec leurs feuilles, et que tu leur donnes de l’eau fraîche. Mets leurs étables à couvert des vents du nord, et expose-les au midi ; et tiens-y le troupeau renfermé jusqu’à ce que le froid Verseau disparaisse, et achève d’arroser l’année de ses dernières pluies.

Les chèvres ne veulent pas être traitées avec moins de soin que les brebis, et le profit qu’on tire d’elles n’est pas moindre. Elles ne donnent pas, il est vrai, cette précieuse laine de Milet, que Tyr renchérit encore en la teignant de ses couleurs ; mais leurs enfants sont plus nombreux, leur lait ne tarit point : et plus tu épuises leurs mamelles écumantes, (3, 310) plus le flot abondant ruis-