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traçant tour à tour. J’aime mieux les essayer devant toi : après cela dis à Amyntas de me le disputer encore.

MÉNALQUE.

Autant que le saule pliant cède au pâle olivier, l’humble lavande au rosier pourpre, autant, à mon avis, Amyntas cède à Mopsus.

MOPSUS.

C’en est assez, enfant ; nous voici dans l’antre.

(5, 20) Une mort cruelle avait ravi Daphnis à la lumière ; les nymphes le pleuraient : coudriers, claires ondes, vous fûtes témoins de leur douleur, lorsque, tenant embrassé le misérable corps de son fils, une mère désolée accusait la rigueur et des dieux et des astres. Dans ces jours, ô Daphnis, aucun berger ne mena ses bœufs, au sortir des pâtis, se désaltérer dans les fraîches rivières ; ses troupeaux ne goûtèrent même pas de l’eau des fleuves, ne touchèrent pas à l’herbe des prés. Les lions mêmes de la Libye, ô Daphnis, ont gémi de ta mort ; les sauvages monts, les forêts nous le redisent encore. C’est Daphnis qui nous apprit à atteler au char les tigres d’Arménie ; (5, 30) Daphnis qui nous apprit à conduire les chœurs de Bacchus, à enlacer de pampres gracieux de souples baguettes. Comme la vigne est la parure des arbres, les raisins de la vigne ; comme le taureau est l’orgueil du troupeau, les moissons l’ornement des grasses campagnes ; de même, ô Daphnis, tu l’étais de nos bergeries. Depuis que les destins t’ont enlevé, Palès elle-même, Apollon aussi a quitté nos champs. Souvent dans ces sillons à qui nous avions confié des grains superbes, il ne croît plus que la triste ivraie et toutes les herbes stériles ; à la place de la douce violette, du narcisse pourpré, s’élèvent le chardon, et la ronce aux épines aiguës. (5, 40) Jonchez la terre de feuillage, bergers ; couvrez ces fontaines d’ombrages entrelacés : Daphnis veut qu’on lui rende ces honneurs. Élevez-lui un tombeau, et gravez-y ces vers : « Je suis ce Daphnis connu dans les forêts et jusques aux astres, berger d’un beau troupeau, moins beau que le berger. »

MÉNALQUE.

Tes chants, divin poëte, sont pour nous, ce que le sommeil sur le gazon est aux membres fatigués, ce qu’au milieu des ardeurs de l’été l’eau jaillissante d’un ruisseau est à celui qui y étanche sa soif. Ce n’est pas seulement sur les pipeaux, c’est encore pour la voix, que tu égales ton maître ; heureux enfant, tu seras le premier après lui ! (5, 50) Cependant je veux à mon tour te chanter, comme je pourrai, quelques-uns de mes vers ; à mon tour je veux élever ton cher Daphnis jusqu’aux astres, oui, jusqu’aux astres et moi aussi Daphnis m’aima.

MOPSUS.

Est-il un don plus grand pour moi ? Le triste enfant est bien digne d’être chanté par toi : il y a longtemps que Stimicon m’a vanté les vers que t’inspira Daphnis.

MÉNALQUE.

Daphnis, dans les splendeurs de la céleste lumière, admire le seuil de l’Olympe, son nouveau séjour ; il voit sous ses pieds les nuages et