Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.

demeurent inviolables, confiés à la garde du principe immortel de vie ; souvent encore, lorsque ces terribles dangers nous pressent, les aiguillons de la peur trouvent accès dans nos âmes : il semble que la terre se dérobe sous nos pas, emportée vers l’abîme ; que la grande masse des êtres, partout défaillante, va suivre sa chute, et faire du monde un amas confus de ruines.

Il faut maintenant expliquer pourquoi la mer ignore tout accroissement. D’abord, on s’étonne que la nature n’en augmente jamais le volume, (6, 610) lorsque des eaux si abondantes y tombent, lorsque tous les fleuves y accourent de toutes parts. Ajoute les pluies errantes des nues, et ces tempêtes au vol rapide, qui arrosent et baignent les ondes comme les terres ; ajoute les sources propres à l’Océan : eh bien ! pour accroître sa masse, ces torrents font à peine l’effet d’une seule goutte d’eau. Est-il donc étonnant que la mer n’ajoute point à son immensité ?

Et puis, l’ardente vapeur du soleil lui ôte beaucoup de substance ; car nous voyons les étoffes, où l’humidité ruisselle, sécher au feu de ses rayons. (6, 620) Or, mille océans déploient à nos yeux l’immense tapis des ondes. Ainsi, quoique le soleil n’enlève à chaque point qu’un atome d’humidité, dans un espace si vaste les pertes sont énormes.

Les vents eux-mêmes, les vents peuvent appauvrir la matière fluide, quand ils balayent la plaine des eaux ; puisque souvent on les voit, dans l’intervalle d’une nuit, sécher nos rues, et durcir la molle fange en une croûte épaisse.

Je te l’ai appris, en outre les nuages gagnent beaucoup d’humidité qu’ils pompent à la grande surface des mers, (6, 630) et qu’ils répandent sur toute l’étendue du globe, quand la pluie tombe ici-bas et que le vent apporte les orages.

Enfin, la terre étant une substance poreuse dont la masse, tout entière unie, environne l’Océan d’une large ceinture, de même que ses veines portent à la mer une onde jaillissante, elle doit recevoir aussi l’écoulement des flots salés. Oui, le sel emprisonné y passe comme dans un filtre : la matière humide remonte sous terre jusqu’au berceau des fleuves, s’y amasse toute, et de là épanche sa douceur nouvelle au sein des campagnes, où la route, une fois tracée, guide le pas limpide des ondes.

(6, 640) Maintenant, pour quelle raison les gorges du mont Etna exhalent-elles parfois de si épais tourbillons de flamme ? Je vais le dire. Car ce ne fut point un fléau déchaîné par les immortels, cette tempête de feu qui régna jadis dans les plaines de la Sicile, et qui attira les regards des peuples voisins, quand ils virent étinceler la voûte fumante du ciel, et que, le cœur plein d’effroi, ils se demandèrent avec angoisse quelle révolution préparait la Nature !

Ici, Memmius, il faut que d’un coup d’œil profond et vaste tu enveloppes le monde dans toute son immensité, (6, 650) pour te ressouvenir que la grande masse des choses est un gouffre inépuisable, et pour t’apercevoir qu’auprès d’elle les