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effort des entrailles maternelles au berceau de la lumière. Il remplit les lieux de ses lugubres vagissements ; et il a bien raison, lui qui a tant de maux encore à traverser dans la vie ! Mais les troupeaux divers, petits ou grands, et les bêtes féroces, croissent sans peine : (5, 230) ils n’ont pas besoin de hochets, et aucun n’exige qu’une tendre nourrice lui bégaye des paroles caressantes ; la température ne les oblige point à changer de vêtements, et il ne leur faut ni armes, ni hautes murailles, pour défendre ce qui est à eux, puisque la terre elle-même et l’industrieuse Nature fournissent si abondamment à tous les besoins de tous ces êtres.

D’abord, comme la substance de la terre, des ondes, et l’haleine légère du vent, et la brûlante vapeur du feu, qui composent évidemment la grande masse des êtres, sont elles-mêmes formées de matières qui naissent et périssent, (5, 240) on doit croire que le monde tout entier participe de leur essence. Car, lorsque nous voyons un ensemble dont les parties et les membres sont des corps nés et revêtus de formes mortelles, nous apercevons presque du même regard et la mort et la naissance de cet ensemble. Moi donc qui vois les membres énormes et les parties du monde se consumer et renaître, je puis être sûr que la terre, le ciel ont eu un commencement et auront une fin.

Ici ne songe point à me reprendre, Memmius, quand je donne le feu et la terre pour des essences mortelles, (5, 250) que je ne crains pas de faire périr les airs, les ondes, et que je les ressuscite tous sous une croissance nouvelle. D’abord, une partie de la terre, éternellement brûlée de mille soleils et battue de mille pieds, exhale des nuages de poussière et de légers brouillards, que le vent impétueux éparpille dans les airs. Une partie même des glèbes fond et retombe en eau sous les pluies ; et les fleuves, en rasant leurs rives, les rongent. Mais tout corps qui alimente les autres répare bientôt ses pertes. Or, il est évident et incontestable (5, 260) que la terre est à la fois le berceau et la tombe commune des êtres : il faut donc qu’elle s’use tour à tour, et s’enrichisse d’un nouvel accroissement.

Pour croire les mers, les fleuves, les sources toujours pleins d’une onde renouvelée et jaillissant d’un cours intarissable, a-t-on besoin de paroles ? Les torrents qui roulent par toute la terre n’en sont-ils pas une preuve assez forte ? Néanmoins des pertes empêchent que la matière fluide ne devienne trop abondante : soit que des vents orageux, balayant les flots, les appauvrissent, ou que le soleil, au faîte des airs, entame leur tissu avec ses rayons ; (5, 269) soit que la masse des eaux circule dans la terre, ce filtre qui ôte le sel empoisonné, tandis que les atomes purs remontent vers le berceau des fleuves, s’y amassent tous, et de là épanchent leur douceur nouvelle dans les campagnes, où la route, une fois tracée, guide le pas limpide des ondes.

Parlons maintenant de l’air, et des innombrables vicissitudes que sa masse entière essuie d’heure en heure. Car toute essence, écoulée des corps, va s’engloutir au vaste océan des airs. Si, en échange, les airs ne rendaient aux corps une