Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
LE MAL DES ARDENTS

au chevet de Notre-Dame et il rêvait à l’ombre de la cathédrale : il eût désiré revivre l’aventure de ses architectes et de quelqu’un des grands évêques d’autrefois ; il les voyait crosse en main et le casque au lieu de la mitre, parmi leurs vassaux, imposant la religion du Christ et l’obéissance à son représentant ; il voulut un jeudi visiter le Trésor et en revint éberlué ; d’autres fois, il s’accoudait au parapet et passait des heures à voir décharger les gabarres ; il supputait la valeur de la cargaison et le tonnage ; il établissait mentalement la comptabilité de l’entreprise et ce qu’elle pouvait donner, bénie de Dieu. Il parcourait aussi les églises, affolé d’amour divin, de repentirs pour des peccadilles qu’il qualifiait de crimes et assoiffé d’indulgences dont il tenait un compte exact. Il ne faisait plus maintenant d’éclats, et ses colères ne se traduisaient que par une pâleur excessive et une montée légère d’écume au coin des lèvres ; mais il semblait que, plus il les retenait, plus il s’en accumulait en orages menaçant de crever : il en accusait le Diable. Au reste il ne pensait qu’à soi, en débat perpétuel avec lui-même et n’accordant à ce qui l’entourait qu’un regard étranger. Un jour, Eugénie qui l’observait lui reprocha sa sécheresse de cœur ; il en eut un grand choc et s’en accusa aussitôt comme d’un péché épouvantable dont il ne pressentait pas possible un véritable repentir. Il ennuya alors sa tante de simagrées ridicules, demandant pardon, excédant l’imprudente de ses questions et de ses larmes, lui représentant tantôt son avenir spirituel compromis par