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LA JEUNESSE DE RABEVEL

de cœur, les sens ne sont pas éveillés encore ; absolument rien de suspect, chasteté certaine ; mais il n’y a pas non plus cette vague tendresse qui peut aider à la conversion ; et l’intelligence qui est indéniable me semble purement critique. C’est elle qu’il faut convaincre par des preuves ; chose curieuse, l’auxiliaire qui peut donner de l’intérêt à mes paroles c’est l’ambition dévoratrice de ce petit. Dieu lui apparaîtra d’abord un aide, un atout dans son jeu. Il l’admettra comme au pari de Pascal. Une fois logé chez lui, nous saurons bien l’y incruster. Il pourrait faire un excellent serviteur de Dieu, ajouta le Père songeur.

— Eh ! là, dit le Frère en riant, si jamais cela devait arriver, je le réserve pour ma congrégation et non pour la vôtre.

Bernard ne se doutait point qu’on fit déjà état de ses dispositions ni même qu’on le crut vaincu. Il dut passer par quelques épreuves qui furent pénibles à son orgueil. Le jour de Noël, il resta seul à son banc comme un pestiféré tandis que ses camarades allaient à la Sainte Table ; il ravalait des larmes de rage ; il lui semblait que tout le monde le montrait au doigt. Ses deux voisins qui le considéraient comme une pauvre brebis perdue, l’observaient à la dérobée. La magnificence de la cérémonie, la douceur des chants, l’accent de joie, l’atmosphère heureuse, tout cela qu’il sentait si bien et à quoi il n’osait participer lui fendait le cœur. À l’issue de la messe de minuit, il dut monter seul au dortoir ; il entendait rire et plaisanter ses camarades qui