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LE MAL DES ARDENTS

se sentit un peu inquiet pourtant ; il se rendait vaguement compte que, cela, il l’avait fait jusqu’ici sans grande difficulté ; alors quelle chose avait-il donc à craindre ? Il leva timidement les yeux et sentit fixé sur lui le regard de l’aumônier ; c’était cela, il le comprit tout de suite, qui le gênait. Il ne s’agissait plus de feindre dans ce lieu ; il se voyait pénétré et, son orgueil écartelé, livré à la risée de tous. Non, on ne se contenterait pas ici de travail et de bonne conduite, il faudrait se faire voir tel qu’on était. Une frayeur le secoua soudain. Si on allait s’apercevoir que les prières, le catéchisme, tout ce dont il s’acquittait si bien en apparence, ce n’était fait que du bout des lèvres ; si on allait le renvoyer aussitôt ? Sur ces pensées, il dut s’installer, faire connaissance de ses nouveaux camarades, de ses surveillants et de ses professeurs ; il ne vit plus le Père Régard dont d’ailleurs personne ne lui parla ; il eut le sentiment qu’on l’oubliait, qu’il se noyait, qu’il devenait un simple numéro dans une classe nombreuse. La nouveauté des méthodes d’enseignement à quoi il n’était pas accoutumé ne lui permettait pas de briller malgré un travail acharné : la présence, aux récréations, de classes plus avancées, d’élèves plus âgés et plus forts que lui, lui interdisait toute prouesse physique ; ses voisins étaient de bons garçons médiocres, joueurs, d’ailleurs sages et pieux, qui n’observaient rien et n’auraient guère pu répondre à ses inquiétudes si son orgueil et sa prudence ne lui avaient interdit de les manifester.