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LE MAL DES ARDENTS

et l’agrément qu’elle en ressentait vouait à son auteur une gratitude qui effaçait sa contrariété et ne laissait pas de place au ressentiment. Elle conjectura que cela aussi, Bernard l’avait prévu et en éprouva un accroissement de joie, celui-là même qui fait les proies heureuses.

Quand elle eut bien admiré le chef-d’œuvre à deux vantaux, félicité les compagnons, suivi dans leurs explications le détail des moulures, des petits-bois, du chambranle, les innovations de la quincaille, donné son goût sur la nuance du vernis, et enfin bouté à la masse les dernières chevilles d’assemblage qu’on lui avait réservées, on apporta la pinte ; elle trinqua en buvant dans le gobelet de Noë (« Dieu que c’est fort », disait-elle avec une moue ravissante qu’elle faisait exprès parce qu’elle savait qu’elle enchantait les compagnons), les ouvriers chargèrent le chambranle sur un charreton et s’en furent.

— Ils vont, dit Noë, à l’hôtel de Mr. de Persigny ; c’est pour lui : la petite porte de l’aile gauche. Ils vont présenter l’objet à son embrasure. Nous voilà seuls : qu’y a-t-il pour ton service ?

Elle lui expliqua posément ce dont il s’agissait ; et, suivant sur son visage les progrès de sa pensée, son irritation, sa méfiance, son hésitation, elle prit une mine innocente qui pouvait donner à croire qu’elle n’avait fait réflexion aucune sur la mission dont elle s’acquittait tout bonnement. Elle eut vite fait toutefois de se rendre compte que Noë