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LA JEUNESSE DE RABEVEL

sommes des hommes, on ne sait pas ce qui peut arriver. Il est vrai que si tu deviens tailleur ou menuisier, tu n’en feras jamais grand’chose !

— Et toi ? répondait Bernard piqué.

— Moi, je vais partir comme mousse quand mon père reviendra ; puis je deviendrai capitaine au long cours ; peut-être armateur ou planteur. C’est une autre vie ça, tu sais ! Tu m’envies, Abraham ?

— Oh ! non, faisait l’autre ; je travaillerai avec mon père, moi.

— Qui sait ? On se perdra de vue, on ne se reverra pas.

Mais Abraham tranquillement :

— Si vous devenez quelque chose ou si vous voulez le devenir, vous ne m’oublierez pas, allez.

Bernard enregistrait ces paroles.

Il ne s’adoucissait pas en grandissant. Une jolie fillette du voisinage, la petite Angèle Mauléon, qui suivait le même chemin pour aller à l’école et aimait ce garçon à cause même de sa sauvagerie, l’ayant un jour embrassé en le quittant et ainsi provoqué innocemment la raillerie de ses camarades, il se précipita sur elle comme une petite brute. Il fallut l’arracher pantelante de ses mains.

Quelque temps après, sur la proposition de François, ils décidèrent de faire à eux trois une excursion en forêt de Fontainebleau. Ils seraient censés invités à passer la soirée du samedi et la journée du dimanche chez les parents de l’un d’eux, ils prétendraient y coucher ce qui ne surprendrait