Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LA JEUNESSE DE RABEVEL

— Je ne vous tutoie pas, moi, dit le petit. Allez, partez.

Le jeune homme vexé, allongea la main pour une gifle.

— Ah ! non, fit l’enfant. Et de toute sa force il le frappa du couteau.

— Sale gosse ! cria l’individu avec un gémissement de douleur. Il m’a entaillé le bras.

La porte voisine s’était ouverte au bruit. Une fille en camisole, s’approcha :

— C’est vous, dit-elle, imprudent ! Venez qu’on vous guérisse.

Ils entrèrent dans la chambre de la fille et Bernard referma sa porte. Il se sentait un peu excité par le repas, la conversation, la nouveauté radieuse de ce qu’il avait appris, l’espérance qui lui promettait une vie magnifique. Il goûtait pleinement une sorte de satisfaction immense. Sa victoire sur le pâle jeune homme l’emplissait d’orgueil. Une phrase de son grand-père du sujet d’un apprenti lui revint à la mémoire : « Je te le ferai marcher ce foutriquet, moi ! » Peuh ! pour une écorchure il lui fallait des soins et une consolatrice. Personne ne me console, moi, songeait-il avec un orgueil amer. Il s’avouait que ses grands désespoirs étaient solitaires et incompris. Nul ne pénétrait les silences où il s’enfermait, dents serrées et langue entre les dents, après la moindre observation faite sans malice à son égard.

Le sommeil ne venait pas. Il fit quelques pas dans la chambre nue ; le carrelage net et froid, les murs blanchis à la chaux, le vitrage de ciel-ouvert sans rideau, faisaient