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LE MAL DES ARDENTS

image et le seul contact imaginaire qui lui fussent demeurés sensibles et suffisaient à cette minute à l’infinitude de son ravissement.

Angèle abasourdie de cet étonnant spectacle, se leva enfin ; elle ne se donna pas le temps de réfléchir, s’approcha de Bernard, lui prit les mains ; le jeune homme ouvrit les yeux et montra une mine toute confuse qui la fit rire.

— Vous allez mieux ? demanda-t-elle.

— Je vais tout à fait bien, répondit-il, reprenant enfin son empire sur lui-même ; je ne sais pas ce que j’ai eu. Excusez-moi, je vous prie, et permettez-moi de vous demander de vos nouvelles.

— Vous avez attendu assez longtemps, fit-elle avec une ironie sans rancune, pour n’avoir pas à vous mettre ainsi hors d’haleine quand vous vous y décidez.

— Ne vous moquez pas de moi, je vous en supplie, s’écria Bernard, je ne sais pas comment je vis. Mais parlez moi vite de vous. Est-il vrai que vous soyez fiancée ?

Elle répondit très simplement :

— Oui. C’est une chose faite depuis hier.

Cette nouvelle, presque attendue pourtant, arriva parmi ses pensées comme un ordre de retraite parmi des troupes victorieuses ; il sentit un inexprimable désordre dans son cerveau ; il y perçut des mouvements contraires et confus ; rien n’y élevait une voix claire ; en même temps, comme si sa tête se fût alourdie, elle tomba entre ses mains ainsi qu’un fruit, le cou s’étant ployé brusquement, le dos