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LA JEUNESSE DE RABEVEL

sa maîtresse, il avait tant méprisées pouvaient le bafouer et se rendre redoutables, sans qu’il trouvât autre chose à leur répondre que des brutalités ; toutes évidemment n’étaient point faites de la serve chair qu’il opprimait. Une sorte de crainte, un dégoût religieux l’envahirent ; allons, il allait faire ses paquets, repartir définitivement pour le monde religieux. Mais de nouveau il eut un sursaut ; ce pays lui semblait maintenant poussiéreux, noir, tombal. Le visage d’Angèle, l’avenir doré brillaient tellement ! Il leva la tête ; sa tante adoucie le pressa de se coucher ; elle allait lui porter une bonne infusion très chaude. Il lui dit :

— Je ne suis plus souffrant. Je suis ennuyé, embarrassé. Que faire ? » … Il hésita, puis résolut de taire son secret.

— J’achève ma toilette, fit-il, et je vais aller prendre l’air, ça me fera du bien.

En quelques minutes il fut prêt, il descendit, prit le tramway de Montrouge, s’arrêta à la Porte d’Orléans. Il suivit les fortifications, passa sans penser à rien parmi les vagabonds qui hantent ces lieux et jouissaient du soleil de juin étendus sur la terre pelée. Quelques femmes en cheveux l’interpellèrent : « Beau gosse ! » Il haussa les épaules ; il frôla d’obscènes voyous qui puaient déjà les rogommes ; puis il se perdit dans la citée lépreuse de la zone parmi la pourriture des baraques, des chantiers et des dépotoirs. Tout s’accordait à son pessimisme du moment, à sa nausée. Il jugeait l’existence et le destin à impression que lui faisaient ces tristes lieux et ne trouvait