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LE MAL DES ARDENTS

tout d’abord échappé ; l’erreur était pas possible : le jeune homme se perdait avec quelqu’une des domestiques qui dormaient à cet étage ; à son regard elle comprit à la fois qu’elle ne se trompait pas et qu’il s’était déjà senti deviné. Mais il ne rougit pas ; huit jours avant il eût rougi ; l’adolescent était mort, il ne restait qu’un homme et cet homme lui montrait un visage si fier, une décision si délibérée, que ce fut elle qui se sentit gênée. Assez perfidement, par un obscur et secret instinct de revanche, elle lui demanda, rompant le silence à son profit :

— Mais si tu songes à l’amour, c’est donc que tu ne veux plus être prêtre ?

Mais il était déjà retombé aux abîmes ; il se sentait sans force ; il n’avait pas son aise dans la tendresse ; cet amour d’Angèle qu’il sentait, à n’en pas douter, ancré pour la vie à ses os, il ne savait pas s’il le pourrait conquérir ni garder, la douceur, la caresse n’étaient pas son climat ; trop de choses qui lui échappaient avaient dans ces conjonctures particulières leur importance, trop de choses hors de sa puissance. Autant il se sentait prêt à tout dominer suivant le mot du Frère Maninc, dans le domaine des affaires, autant il se reconnaissait hésitant dans l’enclos sentimental ; que sa fatigue fût si apparente et l’enlaidît, il s’en trouvait davantage enlaidi et tassé, en raison même du souci qu’il en éprouvait ; la question de sa tante dont il saisissait l’astuce et la vivacité lui montrait comment, dans les choses du cœur, ces femmes que, dans la personne de