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LA JEUNESSE DE RABEVEL

la tristesse et la vanité, la tête pesante sur l’oreiller. Il avait en effet erré sans but durant des heures sans fin, bâtissant des projets ambitieux, pour la plupart chimériques et rentrant les mains vides ; d’autres heures il les avait passées sur le banc d’un jardin public, désœuvré et maussade, assailli de remords, de scrupules et d’affreux désirs ; un après-midi que, voulant remonter le courant, il avait projeté de se rendre au Conservatoire des Arts et Métiers, il avait été abordé par une infâme garce et l’avait suivie ; il était ressorti d’un taudis, écœuré, avec des nausées, la mémoire salie désormais d’obscènes images. À ce moment encore il imaginait sur ce lit où il reposait l’immense édredon rouge de la putain, tache énorme, sanglante et comme symbolique ; et il ressentait le dégoût de lui-même. La fatigue physique accumulée par ces nuits fièvreuses le disposait aussi à l’aigreur ; une furieuse inclination à la querelle, à la rage, un besoin désespéré de consolation, un désir de travail net, fixe, absorbant et rémunérateur, mêlaient leurs exigences disparates dans son esprit. Il grinça des dents, mordit l’oreiller de toutes ses forces, les muscles raides, dans une extrême colère muette de quelques minutes qui duraient des siècles et d’où il sortit brisé. Enfin, ses pensées de la nuit lui revinrent ; et avec elles un sursaut de joie ; il se sentait soudain purifié, l’image bienheureuse d’Angèle l’inondait d’un pur délice ; était-il vrai qu’il pût aimer ! une jeunesse nouvelle, une virginité singulière lui semblait sourdre du cœur et le vivifier ; il