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LA JEUNESSE DE RABEVEL

Le soir, quand il jugea que Flavie devait être dans sa chambre, il y monta à son tour. La fille l’accueillit avec maussaderie : il était heureux et prit la chose en riant : il la taquina ; la lutina, mais l’autre le voyant si enfant en prit avantage pour hausser le ton, le rabrouer et lui déclarer tout net qu’elle entendait coucher seule et qu’il n’avait qu’à s’en aller : et comme il riait encore en disant : « Elle est bien bonne ! » elle s’avança vers lui et le prit par le bras, le poussant assez rudement vers la porte ; mais une terrible gifle de revers donnée à toute volée, l’affala au bout de quatre pas, titubante et le visage meurtri, sur son misérable lit. Le jeune homme ne lui dit rien et elle-même, saisie par la brutalité soudaine de ce geste silencieux, réprima ses sanglots et ne pleura point. Elle jugea Bernard passionné et extraordinaire comme un héros de roman ; et dès lors s’étant forgée une image commode de son amant, image où les brusqueries et les violences s’inséraient tout naturellement, elle ne s’étonna plus de rien ; au contraire cette exaspération froide la flattait ; elle y voyait une preuve d’amour ; et elle renfermait en elle sa conviction comme un secret tant il l’intimidait. Une nuit, pourtant, qu’il avait à l’excès usé d’elle comme d’une chose et qu’il la traitait en animal familier avec une cruauté singulière, broyant ses mains, la serrant à faire craquer les os, la pinçant, la mordant jusqu’au sang, elle osa lui dire avec un faible sourire et encore gémissante :

— N’est-ce pas, Bernard, que tu m’aimes ?