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LA JEUNESSE DE RABEVEL

des navigateurs, des explorateurs et des poètes. Le reste…

Mais Blinkine réfléchissait.

— Écoute, Rabevel, dit-il à son ami, ce sont là des choses tort sérieuses et qui engagent toute une vie. En somme jusqu’ici tu as vécu dans une serre, tu ne sais rien de l’existence, tu t’es fait un monde spécial et idéal, fort beau, propre, merveilleux ; mais, sans te fâcher, bien éloigné de la vie courante ; ton étonnement de tout à-l’heure devant cette enfant suffira à te le prouver à toi-même. On te donne les moyens de continuer cette existence virtuelle, cette espèce de mirage miraculeux en marge de la vie, ce jeu de l’intelligence et de la conscience. On te donne à choisir : cela vaut la peine. S’il faut tout te dire, j’envie, moi, l’existence du Frère Maninc ; ce pur jeu de l’esprit m’enchante, la spéculation sur les passions humaines qui arrivent à lui épurées sous les espèces de jugements et des articles du Code, la spéculation sur les valeurs et les marchandises purement, admirablement théoriques, les combinaisons de graphiques, ces recherches désintéressées de lois, tout cela venant se combiner aux études casuistiques de ton Jésuite, quel rêve d’une existence surprenante et sans seconde ! Évidemment Blinkine eût sauté sur cette occasion.

— Je ne vois pas cela tout à fait ainsi, répondit Bernard posément. Toi, tu es un imaginatif, un mathématicien pur, un abstrait ; tu es le frère spirituel de Maninc. Nous sommes loin l’un de l’autre. Maninc m’instruit, il me