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LA JEUNESSE DE RABEVEL

Mais François racontait son existence marine. Il était hâlé, presque noir, carré d’épaules ; on le sentait d’une colossale vigueur. Il avait gardé son sourire rêveur et il ne semblait pas qu’aucun nuage eût passé sur ses enthousiasmes. Les escales, les bordées, la chasse dans les paradis déserts, le miracle des climats sur les vierges terres dans les mers du Sud, tout cela passait sur ses lèvres en paroles enivrées dites comme pour lui seul tandis que les yeux regardaient à l’infini. La blonde Claudie l’admirait.

— Qu’il est beau, ce petit, disait-elle, hein, qu’il est beau ! Et il a tout vu ! En avez-vous vu de plus belle que l’enfant ? ajoutait-elle en se désignant.

Non, certes, jamais d’aussi belle ; il racontait les femmes des pays lointains, les femelles brusquement étreintes dans les bouges, les molles mélanésiennes, les belles canaques des Îles-sous-le-Vent qui étaient des épouses temporaires durant le chargement du coprah ; et, quelquefois, la passagère de l’unique cabine, l’Américaine ou l’Australienne neurasthénique qui voulait passer sur un bateau à voile trois mois entre le ciel et l’eau et qu’affolaient le sel, l’azur et l’alizé…

Claudie battait des mains. Qu’il était crâne ! et cette vareuse de marin, ce col bleu dégagé, comme ça lui allait. Il ne fallait pas s’étonner qu’il eût des succès ce beau gas. Et, tout d’une pièce, se tournant vers Bernard :

— Ce cachottier là aussi doit en avoir eu des bonnes fortunes, allez. Ça plaît aux femmes cet air patelin avec