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LE MAL DES ARDENTS

que tu dises ça pour moi ? ajouta-t-elle d’un ton plein de courroux et de tendresse. Si oui, je divorce ! Ah ! Monsieur vient quand ça lui chante, m’attendre à la sortie de l’atelier ? Je t’en ficherai, moi ! Au bras d’un autre, fou de son corps.

La stupéfaction de Bernard touchait an scandale. Il existait donc des femmes aussi libres de propos et d’allure et de pensée, aussi parfaitement libres, libres tout court, libres enfin ! et séduisantes… car elle plaisait cette petite diablesse ; on la sentait gentille et bonne fille, tout de même ; rien de vicieux dans cette physionomie de gamine. Il se rembrunit. L’enfer la guettait. Et tout d’un coup la disproportion du châtiment au péché lui apparut évidente. Voyons, ce n’était pas possible ! il n’avait jamais envisagé le péché que sous deux aspects : l’un était d’une figure sombre, tragique et solitaire, comportant un satanisme, une conscience effroyable dans le mal, une tentative métaphysique de bouleversement de la création ; l’autre, paré de couleurs riantes, c’était le vice rongeur qui décompose et se complaît en soi. Il n’avait jamais envisagé, entre ces extrémités également coupables, cette expansion de naturel qu’il ne pouvait s’empêcher de sentir ignorante du stupre et innocente de toute offense à la Divinité. Tout son édifice si rationnel, si parfaitement construit et dont la stabilité n’avait pour lui jamais fait question lui parut ébranlé ; il s’inquièta. Et, en même temps, il lui semblait que montait une espérance d’en bas comme du fond des entrailles.