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LE MAL DES ARDENTS

révolta : Certainement Saint Laurent avait trouvé sa réjouissance dans la foi, sans quoi où eût été le mérite ? Il voyait le saint marmonnant des prières à voix basse, puis criant ses invocations lorsque la chair déjà grésillait, et enfin, hurlant sa foi à pleine gueule lorsqu’il n’était plus qu’une plaie de viande vive toute fumante ; il voyait le prétoire obscurci de vapeurs, puant la sanie, le graillon, le charbon de terre, les bourreaux mi-asphyxiés par l’âcreté du nuage ; il décrivit le supplice comme s’il y assistait ; les souffrances du saint étaient les siennes ; il en goûtait l’horreur, il en savourait le tourment et il en avait mal. Il se sentait soudain le vocation du martyre ; un délice insoupçonné qui sembla tout-à-coup la compensation du sang. Il eut un éblouissement : peut-être était-il prédestiné ? peut-être serait-il un saint ? Il se dressa d’un sursaut.

— Prenez garde à l’orgueil, dit le Père.

L’amertume emplit sa bouche. En rentrant, il traîna derrière ses camarades. Comme il approchait du lazaret il vit non loin du chemin deux enfants de pêcheur qui riaient et faisaient de grands gestes ; il courut à eux. Les gosses avaient enfermé un scorpion dans un cercle de brindilles enflammés. Il assista, haletant, aux efforts de la bête venimeuse, à sa réflexion, à ses tentatives redoublées lorsque l’inexorable cercle se resserrait ; une joie cruelle le tenaillait à crier ; il se sentait près de trépigner. Enfin, quand le cercle fut tellement réduit que le scorpion se vit léché des flammes et, brusquement relevant la queue, se tua net en