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fille de Tantale[1]. Cependant apprends-moi quelle est cette Méduse qui pétrifie les gens. D’où est-elle ? Il faut aussi que je la voie. Tu ne m’envieras pas, j’espère, ce spectacle, et tu ne seras pas jaloux si je veux, comme toi, m’en approcher, au risque de devenir immobile.

Lycinus. Il faut que tu saches, mon ami, qu’il te suffirait de la voir d’un point élevé pour demeurer béant et passer à l’état de statue. Le mal, toutefois, qu’elle te ferait, serait peut-être encore assez doux, et sa vue ne te causerait pas une blessure mortelle ; mais si elle jetait un regard sur toi, le moyen de t’en échapper ? Elle t’attacherait et t’entraînerait à son gré, comme la pierre d’Héraclée attire le fer[2].

[2] 2. Polystrate. Cesse, Lycinus, de me décrire je ne sais quelle beauté prodigieuse qui n’existe que dans ton imagination, ou, du moins, apprends-moi quelle est cette femme.

Lycinus. Tu crois que j’exagère ? Et moi je crains, quand tu l’auras vue, de passer pour un faible panégyriste, tant tu la trouveras au-dessus de mes éloges. Cependant je ne puis te dire qui elle est. Elle était suivie d’une foule d’esclaves, d’un brillant et nombreux cortége d’eunuques et de femmes, appareil qui donne à croire que sa condition est plus relevée que celle d’une simple particulière.

Polystrate. Tu ne t’es pas informé de son nom ? tu ne sais pas comment on l’appelle ?

Lycinus. Je n’ai pu l’apprendre. Tout ce que j’ai su, c’est qu’elle est d’Ionie. Un homme, qui la regardait de près sur son passage, s’est écrié : « Voilà pourtant les beautés de Smyrne ! Il n’est pas étonnant que la plus belle des villes d’Ionie ait produit la plus belle des femmes. » Il m’a semblé que celui qui tenait ce langage était lui-même de Smyrne, et qu’il était fier d’être le concitoyen de cette belle personne.

[3] 3. Polystrate. En vérité, tu t’es comporté comme une vraie statue, en ne la suivant pas et en ne demandant pas à l’homme de Smyrne quelle était cette femme. Cependant fais-moi de ton mieux la description de sa beauté ; peut-être la reconnaîtrai-je.

Lycinus. As-tu songé à la difficulté de ta demande ? Il n’est pas au pouvoir de la parole, ou tout au moins de la mienne, de

  1. Niobé.
  2. Cf. Platon, Ion, chap. v, édition Stalbaum. On trouvera un curieux article sur le mot Aimant, dans Ménage, Origines de la langue françoise, p. 19 et 20, édition de 1650.