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PHILOPATRIS


à Égisthe que, s’il veut ne point commettre d’adultère et ne pas attenter aux jours d’Agamemnon. il vivra longtemps. que c’est l’arrêt des destins ; mais que, s’il accomplit ces crimes, la mort ne se fera pas attendre ? Moi-même j’ai souvent fait de pareilles prédictions : « Si vous tuez votre voisin, disais-je, vous subirez bientôt la juste punition de votre crime, mais si vous vous en abstenez, vous vivrez heureux,

 Et la mort de vos jours épargnera la trame[1].


Ne vois-tu pas alors combien les idées des poëtes sur le Destin sont inexactes, douteuses et dépourvues de toute solidité ? Laisse donc tout cela de côté pour être inscrit sur les livres célestes au rang des hommes vertueux.

17. Critias. Tu reviens à propos sur ce sujet, Triéphon. Dis-moi : les actions des Scythes sont-elles également enregistrées dans le ciel ?

Triéphon. Elles le sont toutes, s’il est vrai qu’il y ait quelque homme de bien parmi les nations.

Critias. Mais il faut une grande quantité de scribes dans le ciel, pour écrire tant de choses.

Triéphon. Parles-en mieux et ne plaisante point sur un dieu si habile ; mais, docile catéchumène, laisse-toi persuader, si tu veux vivre dans l’éternité. Car si ce dieu a pu étendre le ciel comme une peau, affermir la terre sur les eaux, former les astres et tirer l’homme du néant, qu’y a-t-il d’étonnant qu’il puisse écrire dans un livre toutes les actions des hommes ? Lorsque tu t’es construit une maison et que tu y as conduit serviteurs et servantes, aucune de leurs actions ne te reste inconnue ; à combien plus forte raison Dieu, qui a fait tout l’univers, ne connaîtra-t-il pas aisément et les actions et les pensées ? À l’égard de tes dieux, il y a longtemps que les hommes sensés les regardent comme un jeu de cottabe[2].

18. Critias. Tu as raison et tu m’as fait subir une métamorphose contraire à celle de Niobé : de pierre tu m’as changé en homme. Je te jure donc par ce même dieu que tu n’as aucun mal à redouter de ma part.

Triéphon. Si tu m’aimes du fond du cœur, n’opère aucun changement en moi, je te prie.

 Ne tiens pas un langage autre que ta pensée[3].


Mais enfin apprends-moi quel est ce merveilleux discours que

  1. Iliade, IX, v. 416.
  2. Voy. Lexiphane, 3.
  3. Iliade, XI, v. 313.