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LA DOUBLE ACCUSATION

d’humeur. L’Ivresse s’est emparée de lui, tout jeune encore, à l’aide de la Volupté, sa complice ordinaire ; elle a corrompu le malheureux, en le livrant corps et âme aux débauches et aux courtisanes, si bien qu’il ne resta plus en lui trace de pudeur. Le portrait qu’elle vous en faisait tout à l’heure, dans son intérêt présumé, tournez-le tout entier à mon avantage. Oui, cet infortuné jeune homme, dès la pointe du jour parcourait la ville, couronné de fleurs, promenant son orgie en pleine agora, traînant des flûtes à sa suite, toujours pris de boisson, festoyant avec tous, honte de ses parents et de la ville entière, objet de risée pour les étrangers. Il vient un jour devant ma porte ; elle était ouverte, comme c’est mon habitude : je dissertais en présence de quelques amis sur la vertu et la tempérance. Polémon entre avec ses flûtes et ses couronnes, commence par crier et par essayer de troubler l’assemblée en l’assourdissant de ses clameurs. Nous ne faisons aucune attention à lui, et peu à peu, comme l’Ivresse ne s’était pas complètement emparée de ses sens, mes paroles le ramènent à la sobriété ; il arrache sa couronne, fait taire la joueuse de flûte, rougit de sa robe de pourpre, et, comme réveillé d’un profond sommeil, jette les yeux sur sa situation et condamne ses débauches passées. L’incarnat dont l’avait coloré l’Ivresse se flétrit, disparaît et fait place à la rougeur que lui cause la honte de sa première conduite ; enfin, sans hésiter, il se jette entre mes bras, comme un transfuge, sans que je l’appelle, sans que je lui fasse violence, comme la demanderesse le prétend, mais de lui-même, et entraîné par la conviction que c’était le meilleur parti. Et maintenant, faites-le-moi comparaître en personne, pour voir ce qu’il est devenu grâce à moi. Quand je l’ai reçu, juges, il était ridicule, ne pouvant ni parler, ni se soutenir, tout absorbé dans le vin ; je l’ai complètement changé, je l’ai ramené à des habitudes sobres ; d’esclave qu’il était, j’en ai fait un citoyen honnête et sage, digne de l’estime des Grecs. Lui-même, aujourd’hui, me sait gré, ainsi que ses parents, du service que je lui ai rendu. J’ai dit. À vous de décider maintenant avec laquelle de nous il valait mieux pour lui de vivre.

[18] Mercure. Voyons ; faites vite : allez aux voix ; levez-vous. Nous en avons d’autres à juger.

La Justice. L’Académie, à l’unanimité, sauf une voix.

Mercure. Il n’est pas étonnant qu’il y ait quelqu’un qui vote même pour l’Ivresse.

[19] En séance. Ceux que le sort a désignés pour juger la cause du Portique contre la Volupté au sujet de son amant. L’eau est