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LES AMOURS.

ou des livres, précieux dépôt des vertus des vieux âges, ou sa lyre harmonieuse, s’il se rend chez son maître de musique.

[45] « Après avoir fortifié son âme par les préceptes de la philosophie, rassasié son esprit du cercle des connaissances, il développe son corps par de nobles exercices. Les chevaux de Thessalie sont l’objet de ses soins ; et après avoir lui-même dompté sa jeunesse, comme un jeune coursier, il médite la guerre au sein de la paix lançant des javelots ou décochant des traits d’une main sûre[1]. Puis ce sont les palestres onctueuses, la poussière sous la chaleur d’un soleil de midi, la sueur que font ruisseler les efforts de la lutte, un bain de quelques instants, une table frugale qui prépare à de nouvelles occupations. En effet, d’autres maîtres lui expliquent les faits de l’antiquité, et prennent soin de graver dans sa mémoire quel héros s’est distingué par son courage, quel autre fut un exemple de prudence, quels sont ceux qui ont embrassé la justice et la tempérance. Quand il a, pour ainsi dire, versé cette rosée sur sa jeune âme, et que, le soir, mettant un terme à ses travaux, il a payé à son estomac le tribut qu’il exige, il va goûter, dans un sommeil agréable, le repos dû aux fatigues de la journée.

[46] « Qui ne serait l’amant d’un pareil jeune homme ? Qui serait assez aveugle, assez insensé ? Qui n’aimerait ce Mercure dans les gymnases, cet Apollon jouant de la lyre, ce Castor domptant les coursiers, ce mortel qui marche sur la trace des dieux ? Pour moi, divinités célestes, puissé-je couler de longs jours, assis en face d’un pareil ami, entendre de près son doux langage[2], l’accompagner quand il sort, et partager tous ses travaux ! Il me resterait à souhaiter que l’objet de ma tendresse, après une vie exempte de malheur et de trouble, parvint, libre de soucis, à la vieillesse, sans avoir jamais éprouvé les traits jaloux de la fortune. Mais puisque telle est la loi de la nature humaine, si quelque maladie l’afflige, je veux être malade avec lui ; je veux l’accompagner sur une mer orageuse ; si quelque tyran le charge de fers, je porterai les mêmes chaînes. Quiconque le détestera encourra ma haine, et j’aimerai tous ceux qui lui témoigneront de la bienveillance. Si je vois des brigands ou des ennemis l’attaquer, je le défendrai même au delà de mes forces ; s’il vient à périr, je ne supporterai plus la vie, et les derniers vœux que j’adresserai à ceux qui, après lui, me seront chers) c’est qu’ils

  1. Allusion à l’Hippolyte d’Euripide.
  2. Allusion à l’Ode de Sappho Voy. Longin, Traité du Sublime, traduction de Boileau, p. 432 de l’édition de Ch. Lahure.