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LES AMOURS.

époux ; leur tête exhale l’Arabie tout entière. Des instruments de fer, chauffés à une flamme douce, contraignent les cheveux à se rouler en longs anneaux, dont les boucles, conduites avec un soin minutieux jusqu’aux sourcils, ne laissent au front qu’un étroit intervalle, tandis que les tresses de derrière flottent fièrement sur le dos et sur les épaules.

[41] « On met ensuite une chaussure aux couleurs fleuries, qui presse le pied au point de pénétrer dans les chairs. Un tissu fin et léger, qu’on appelle vêtement, sert à ne point paraître nue : l’œil, à travers ce voie diaphane, distingue mieux ce qu’il couvre que le visage même : il n’y a que les femmes dont la gorge est déformée qui la retiennent prisonnière. Que dirai-je de leur luxe ruineux, de ces pierres rouges[1] qui pendent à leurs oreilles et valent plusieurs talents, de ces serpents d’or roulés autour de leurs poignets et de leurs bras ? Plût aux dieux que ce fussent des serpents véritables ! Une couronne, toute brillante de pierres indiennes, luit sur leur front étoilé : des colliers d’un prix immense descendent de leur cou ; l’or est condamné à ramper sous leurs pieds, pour entourer la partie du talon qu’elles laissent découverte. Il vaudrait mieux, sans doute, que leurs jambes fussent enchaînées dans des ceps de fer. Lorsqu’elles ont ainsi falsifié tout leur corps par les charmes trompeurs d’une beauté factice, elles ont encore l’impudence de peindre leurs joues, de les rougir avec le fard, afin d’animer la blancheur mate de leur peau par l’éclat fleuri de la pourpre.

[42] « Après tant de préparatifs, que font-elles ? Elles sortent de la maison, provoquent des regards qui font mourir leurs maris de jalousie, et vont adorer des divinités dont les hommes n’ont pas le bonheur de connaître les noms : ce sont des Coliades, je crois, des Génétyllides[2], une déesse de Phrygie, une fête où l’on célèbre un amour malheureux pour un berger[3]. Viennent ensuite des initiations secrètes, des mystères sus-

  1. Probablement le corail.
  2. Divinités favorables à la débauche. Vénus Coliade est ainsi nommée du temple qui lui avait été élevé dans le bourgg d’Anaphlye, en Attique, sur les hauteurs du promontoire Colias, à 20 stades du port de Phalère. On trouvera dans le scoliaste, sur ce vers, la raison pour laquelle ce lieu était appelé Colias. Pausanias (Attic., I) parle de ce temple, de la statue de Vénus Coliade et de celles des déesses Génélyllides, qu’on y adorait avec Vénus : leur nom parait signifier, qui préside à la génération. Coliade présidait à l’amour physique, comme l’indique son nom, qui dérive de κῶλον. Voy. Nuées, v. 51. M. Artaud, traduction d’Aristophane, note sur le 2e vers de Lysistrata.
  3. Adonis. Voy. la xve Idylle de Théocrite.