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DE LA DANSE.

[65] La grande affaire, le but spécial de la danse, c’est, comme je l’ai dit, l’imitation des actions humaines, à laquelle s’appliquent avec tant de soin les orateurs, et surtout ceux qui s’exercent dans ce que nous appelons déclamation. Or, un danseur est certain qu’il sera particulièrement digne d’éloges, s’il s’identifie avec les personnages qu’il représente, et si son expression est conforme aux paroles des héros qui se meuvent sur la scène, meurtriers de tyrans, pauvres, laboureurs, dont il rend avec précision le caractère propre et saillant.

[66] Je veux encore te raconter le mot d’un autre barbare à ce sujet. Il voyait cinq masques préparés pour un danseur, car la pièce était divisée en autant d’actes, et, comme il n’apercevait qu’un seul danseur, il demanda quels étaient ceux qui allaient jouer les autres personnages. Quand il eut appris que c’était le même homme qui allait jouer seul et danser toute la pièce : « Je ne savais pas, mon cher, dit-il, que tu eusses plusieurs âmes dans un seul corps ». Ainsi parla notre barbare.

[67] Ce n’est pas sans raison que les Italiens ont appelé la danse pantomime, nom tiré de ses effets. J’aime cette exhortation d’un poëte : « Mon fils, rends-toi semblable à l’animal qui s’attache aux roches de la mer[1], et fréquente ensuite les peuples et les villes ; » c’est un conseil excellent pour un danseur qui doit se rendre familiers et s’attacher à reproduire tous les actes de la vie.

En général, la danse se flatte d’exprimer et de représenter les mœurs et les passions, en introduisant sur la scène tantôt l’amour, tantôt la colère, la folie, la tristesse et toutes les affections de l’âme à leurs différents degrés. Et ce qu’il y a de plus surprenant, c’est de voir en un seul jour Athamas en fureur, Ino frappée de crainte, puis Atrée, Thyeste, Égisthe, Aéropé, et cependant tout cela n’est qu’un seul homme.

[68] Les autres arts, faits pour le plaisir des yeux et des oreilles, ne produisent qu’un effet unique : c’est une flûte, une cithare un chant mélodieux, la représentation d’une tragédie, ou le rire qui résulte d’une action comique. Mais le danseur embrasse tout : on y rencontre le mélange et l’union variée de plusieurs arts, flûte, syrinx, bruit de pieds, choc de cymbales, voix sonore de l’acteur et symphonie d’un chœur concertant.

  1. Le polype, animal diaphane, et qui parait prendre, comme le caméléon, la couleur des objets auxquels il s’attache. Le poëte dont il s’agit ici est Pindare, cité par Plutarque, dans son traité : Quels animaux sont les plus rusés, les terrestres ou les Aquatiques ?