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DE LA DANSE.

faire l’éloge de sa maladie. Cependant, puisque tu veux m’entretenir de bagatelles, j’aurai la complaisance tout amicale de t’écouter, et de te prêter des oreilles qui n’auront pas besoin de cire contre tes inepties. Je me tais donc ; parle tant que tu voudras, et comme si personne ne t’écoutait.

[7] Lycinus. À merveille, Craton, voilà justement ce qu’il me fallait. Tu jugeras, dans un instant, si ce que je vais dire mérite le nom d’inepties. Et d’abord, tu me sembles ignorer absolument que l’art de la danse n’est pas nouveau. Ce n’est ni d’hier ni d’avant-hier qu’il a pris naissance ; il est antérieur à nos ancêtres et aux leurs. Les écrivains qui nous donnent la généalogie la plus authentique de la danse te diront qu’elle date de l’origine même de l’univers, et qu’elle est aussi ancienne que l’amour. Le chœur des astres, la conjonction des planètes et des étoiles fixes, leur société harmonieuse, leur admirable concert, sont les modèles de la première danse. Peu à peu elle s’est développée, et, de progrès en progrès, elle semble être arrivée aujourd’hui à sa plus haute perfection, composant un tout varié, d’un accord parfait, et dans lequel se fondent toutes les muses.

[8] Rhéa[1] fut, dit-on, la première qui, charmée de cet art, l’enseigna, en Phrygie, aux Corybantes, et aux Curètes, en Crète ; elle en retira de grands avantages. Ceux-ci, en dansant, lui sauvèrent Jupiter, qui sans doute conviendrait lui-même que c’est grâce à leur danse qu’il a échappé aux dents paternelles. Ils exécutaient cette danse tout en armes, frappant des boucliers avec des épées, et bondissant avec un enthousiasme guerrier. Ensuite, les plus illustres Crétois s’appliquèrent fortement à cet exercice et devinrent d’excellents danseurs, non-seulement les particuliers, mais les princes et ceux qui aspiraient aux plus hautes fonctions. Homère, qui probablement ne voulait pas rabaisser Mérion, mais l’honorer, lui donne le nom de dan-

  1. « Tous les anciens ne reconnaissent pas également Rhéa pour l’institutrice de la danse. Théophraste, cité par Athénée, livre I, p. 22, prétend qu’un certain joueur de flûte, natif de Catane, en Sicile, et nommé Andron, fut le premier qui s’avisa d’accompagner les sons de sa flûte des divers mouvements de son corps, qui marquaient une espèce de cadence. C’est pour cela que les anciens Grecs exprimaient le mot danser par celui de Σικελίζεν, voulant faire connaître par là que la danse leur venait de Sicile. Après Andron, Cléophane de Thèbes cultiva cet art avec succès. » Belin de Ballu. Les savants nous semblent trop exclusifs, en voulant assigner une sorte de date précise à l’origine de la danse : elle est aussi ancienne que les hommes ; elle est de tous les temps et de tous les pays. Voy. l’article Danse dans l’Encyclopédie de Firmin Didot.